Tahar Ben Jelloun 2:18
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Alexis Patri , modifié à
À 19 ans, le poète et peintre Tahar Ben Jelloun a été enfermé pendant plus d'un an et demi dans un camp disciplinaire de l'armée marocaine, pour avoir contesté le pouvoir. Une expérience marquante que l'écrivain franco-marocain raconte au micro d'Anne Roumanoff. 
INTERVIEW

C'est une façon peu banale d'interrompre sa préparation de l'agrégation de philosophie. En juillet 1966, Tahar Ben Jelloun est étudiant. Le peintre et poète est arrêté et enfermé pour dix-neuf mois dans un camp disciplinaire de l'armée marocaine. L'écrivain, qui publie La philosophie expliquée aux enfants, revient sur cet épisode de sa vie au micro d'Anne Roumanoff.

Privation de liberté et d'imagination

"J'ai été puni pendant dix-neuf mois dans un camp disciplinaire de l'armée où j'ai pas mal souffert". C'est ainsi que Tahar Ben Jelloun résume pudiquement son incarcération pour avoir, à 19 ans, contesté le pouvoir marocain. "La prison, surtout militaire, a quelque chose de plus que terrible", se souvient-il. "On est privé de liberté, bien sûr, mais aussi privé d'imagination. J'en étais réduit à une dimension très bestiale et animale."

Malgré l'interdiction d'avoir un livre ou une feuille et un stylo, Tahar Ben Jelloun parvient à s'échapper dans ses pensées. "Je me faisais mon propre cinéma. J'ai pensé à mon premier grand amour avec qui j'étais à ce moment-là", explique-t-il. "Et je savais qu'elle allait me quitter pendant que j'étais en prison, car personne ne savait pas à quel moment j'allais être libéré."

La fin des illusions et le début de l'écriture

Si Tahar Ben Jelloun n'a plus été avec cette femme à sa sortie de prison, il revoit encore aujourd'hui deux anciens codétenus. Avec le temps, l'écrivain a appris à retirer du positif de cette expérience marquante. "C'était une expérience très intéressante", étonne-t-il. "Mais je peux le dire aujourd'hui, avec beaucoup de temps, avec plus de cinquante ans de recul."

L'écrivain voit en effet désormais son emprisonnement comme un rite de passage à l'âge adulte. "C'était une période qui m'a formé, parce que je suis sorti de là avec peu d'illusions sur l'humanité et peu d'illusions sur l'homme en général. Ça m'a guéri de beaucoup de mes illusions", observe-t-il. Sa sortie de camp disciplinaire a surtout marqué le début de la plus grande aventure de la vie de Tahar Ben Jelloun : "À partir de là, j'ai commencé à écrire."