Philippe Jaenada, auteur de "La Serpe" : l'affaire Girard, "l'histoire d'un coupable idéal"

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Aurélie Dupuy , modifié à
Avec "la Serpe", le romancier réalise une enquête sur un triple meurtre datant d'octobre 41.

Il s'était déjà attaqué au fait divers notamment pour La petite femelle. Philippe Jaenada y revient avec La serpe aux éditions Julliard, une enquête sur l'incroyable vie d’Henri Girard, un homme accusé d’avoir tué son père, sa tante et la bonne. L'auteur a raconté dans la Voix est livre, samedi sur Europe 1, comment l'histoire l'avait happé.

Dix ans de refus et un déclic. Avant d'être captivé, l'auteur a d'abord rechigné à s'atteler au sujet. "On m’a donné l’idée mais ça a mis du temps à ce qu’elle arrive jusqu’à mon cerveau et surtout entre mes doigts." Tout commence quand le fils de l'écrivain entre en maternelle. Il sympathise avec quelques parents d’élèves et en particulier un homme qui s'appelle Emmanuel Girard, le petit-fils d'Henri Girard, qui l'incite à raconter l'histoire de son grand-père, homme qui a mené des combats contre l’injustice et des luttes politiques à travers le monde et écrit Le salaire de la peur sous le pseudonyme de Georges Arnaud.

Entendu sur europe1 :
Si un jour, il y a eu un coupable idéal dans l’histoire du crime, c’est Henri Girard

L'argumentation n'emballe pas l'écrivain. Il trouve l'angle banal. Mais pendant dix ans, l'ami insiste. A chaque dîner quand le dessert arrive, l'histoire du grand-père revient sur le tapis, avec toujours le même refus. "Et puis, il y a trois ans", le petit-fils donne un élément supplémentaire : le fait que tout le monde pense encore que son grand-père a tué sa famille à coups de serpe. Philippe Jaenada vient enfin d'être harponné. "Je me suis dit voilà un petit truc qui cloche".

Un Mystère de la chambre jaune réel. Il commence alors à lire Le salaire de la peur. "J’ai pris un coup dans le buffet parce que c’est un livre fort, sombre, puissant et je me suis penché sur cette affaire de triple crime extrêmement kitsch. On dirait Le mystère de la chambre jaune", décrit l'écrivain. Il suffit de voir le pitch : on est en présence de trois personnes d’une même famille un soir d'octobre 1941 – le fils sale gosse de bonne famille par excellence ; le père, gros monsieur un peu bougon mais gentil ; la tante vieille fille un peu avare mais pas mauvaise femme ; plus la bonne. Ils dînent dans le château un soir pluvieux sous l’Occupation, ferment toutes les portes et les fenêtres de l’intérieur, vont se coucher, et le lendemain matin, le fils ouvre la porte, crie au secours car les trois autres sont massacrés. On trouve une serpe ensanglantée dans la chambre de la bonne.

Un suspect "atteint comme s'il venait de se casser un ongle". Faits d'autant plus confondants, le fils, qui dit n’avoir rien entendu, est le seul héritier d’une fortune considérable. On ne constate par ailleurs aucune effraction. Qui plus est, la voisine vient dire qu’il lui a emprunté la serpe la veille. "Si un jour, il y a eu un coupable idéal dans l’histoire du crime, c’est Henri Girard." Quand les gendarmes arrivent, il joue du piano en fumant et propose une eau de vie de prunes aux gendarmes. "Il a l’air atteint comme s’il venait de se casser un ongle", résume l'auteur. Bref, pour tout le monde, la seule question est quand va-t-on lui couper la tête ? Pourtant, Henri Girard est acquitté, grâce à la brillante plaidoirie de son avocat, Maurice Garçon.

Entendu sur europe1 :
Je ne voulais pas donner au lecteur un gros pavé noir, un gros bloc de tristesse, je voulais mettre des petites paillettes dessus.

"Des petites paillettes" sur un pavé noir. Pour tout retracer, l’auteur a réellement mené  l’enquête et le raconte dans son livre. Il s’intègre au roman. "On me le reproche parfois, mais il y a plusieurs raisons : c’est une histoire sordide, je ne voulais pas donner au lecteur un gros pavé noir, un gros bloc de tristesse, je voulais mettre des petites paillettes dessus. Et puis surtout, je voulais que ce soit relié au présent." Philippe Jaenada est le premier à consulter le dossier d’instruction, 75 ans après Maurice Garçon.

"Dans l’esprit des gens, c’est l’erreur judiciaire à l’envers. Il a été acquitté grâce à la performance d’avocat." Mais après étude, l'auteur a lui aussi des doutes. "Il a prouvé que l’argent n’avait aucune importance pour lui et surtout – et c’est une des choses qui m’a fait tiquer – c’est que toute sa vie il a lutté contre l’injustice." On peut se dire que c'est par pure volonté de rétablir la justice ou par cynisme ou pour apaiser sa conscience… Au lecteur désormais de juger.