years and years
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La série de la BBC Years and Years, qui anticipe les 17 années à venir au Royaume-Uni, se démarque des autres dystopies par un hyper-réalisme qui ne fait qu'accroître l'angoisse ressentie au visionnage.

Les séries et la dystopie, cette vision pessimiste du futur, font bon ménage. Récemment, et pour ne citer qu'elles, dans des genres très différents, Black Mirror d'un côté et The Handmaid's Tale de l'autre ont marqué des millions de téléspectateurs. Pourtant, une nouvelle venue de la BBC pourrait, et devrait, bousculer ce panthéon un peu trop bien établi, surtout depuis qu'aux (excellentes) premières saisons ont succédé les suivantes, bien plus aléatoires. Diffusée en France par Canal+, Years and Years fait souffler un vent de renouveau bienvenu sur la dystopie, servie par un hyper-réalisme angoissant.

Mêler l'intime et le politique

L'histoire de départ est très simple : d'un côté, une famille anglaise, les Lyons, vit sa vie tranquillement. De l'autre, Vivienne Rook, nouvelle venue en politique et populiste à souhait, amorce une ascension spectaculaire. En six épisodes seulement, Years and Years va balayer 17 ans de petite et grande histoire, d'intime et de politique, de 2019 à 2036. 

Inutile de dire que se projeter dans 17 ans lorsqu'on est britannique est un exercice périlleux, la crise politique liée au Brexit rendant les prochaines heures et prochaines semaines plus qu'incertaines. La grande force du créateur de Years and Years, Russell T. Davies, est de le faire avec plus de subtilité qu'il n'y paraît. Les ellipses sont nombreuses, la série très ramassée, pourtant les curseurs ne sont que très rarement poussés à l'extrême. Il ne s'agit jamais, que ce soit sur les évolutions politiques ou l'usage des nouvelles technologies, de sombrer dans une vision cauchemardesque du futur. Si cauchemar il y a, c'est qu'en réalité il se conjugue déjà au présent.

De l'art de pousser le curseur juste un peu plus loin

Là où, dans The Handmaid's Tale, les Etats-Unis ont sombré dans le totalitarisme le plus rétrograde, les propositions politiques de Vivienne Rook sont à la fois terrifiantes et pas totalement absurdes. La populiste évoque notamment l'obligation de passer un test de Q.I. avant d'avoir le droit de vote. Suggestion anti-démocratique au possible, mais que le premier ou la première qui n'a jamais considéré que sa voix était plus intelligente que celle de son voisin lui jette la première pierre. De même, si la série imagine une crise migratoire après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, elle ne repousse finalement que peu les limites de l'actualité récente, marquée par les mouvements de réfugiés depuis l'Afrique et le Moyen-Orient vers l'Europe.

Years and Years a également une approche des nouvelles technologies très différente de celle de Black Mirror. Il n'y a là que peu de robots, en dépit d'une scène très drôle dans le premier épisode, et pas de reconnaissance faciale à tous les coins de rue. Les enfants grandissent certes avec un écran entre les doigts (un gamin passe ainsi son temps avec un casque de réalité augmentée sur les yeux), et l'un des personnages est fasciné par le transhumanisme (arc narratif par ailleurs beaucoup moins intéressant que les autres). Mais la série montre aussi des évolutions positives : la technologie permet de soigner la cataracte de la grand-mère, et surtout à la famille Lyons de rester soudée en toute circonstance, unie par son système d'appel de groupe. Loin des horreurs inspirées par les logiciels aux créateurs de Black Mirror.

Questionner la responsabilité des téléspectateurs

Years and Years n'est donc pas de ces dystopies qui, certes en prenant appui sur des peurs réelles, se contentent de jouer avec une vision apocalyptique mais lointaine. Au contraire, tout est si crédible dans un futur proche (la série est sortie avant que Boris Johnson ne devienne Premier ministre, et il est déjà impressionnant de voir comment, en quelques mois déjà, ses anticipations ont pris du poids) que cela ne peut que la rendre plus angoissante. Et si les personnages passent leur temps à se plaindre d'être dépassés par les événements, dévorés par un monde qui leur échappe, ils se voient constamment ramenés à leur responsabilité individuelle dans ce qui leur arrive.

Lorsque Vivienne Rook propose son test de Q.I. conditionnant le droit de vote, le journaliste qui l'interroge lui demande si elle pense que les gens sont trop bêtes pour voter. "Non", répond-elle. "Ce n'est pas moi, c'est vous qui le dites. Tous les jours, chez vous, au pub." Questionner la responsabilité des personnages n'est au fond qu'une manière détournée, pour Years and Years, de confronter les téléspectateurs à la leur. Ils auront le futur qu'ils méritent.