"Night Call", une enquête interactive en forme de plongée dans la nuit parisienne

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Le confinement offre parfois du temps pour découvrir des oeuvres ratées à leur sortie. Ainsi va de "Night Call", un jeu vidéo français en noir et blanc qui mérite qu'on y revienne. Jeu d'enquête, hommage aux films noirs et fenêtre ouverte sur la faune nocturne parisienne : voilà ce qui fait son originalité.

Pour ceux qui ont un peu de temps, le confinement est une opportunité de rattraper son retard culturel : relire les classiques de la littérature, "binge-watcher" les dernières séries ou encore se plonger dans des jeux vidéo ratés à leur sortie. Comme Night Call. Ce petit français, sorti en juillet 2019, nous avait intrigué. Le confinement nous a donné une bonne raison de nous attaquer à ce jeu d'enquête mettant en scène un taxi de nuit à Paris. Et nous ne saurions que trop vous conseiller d'en faire autant.

Enquête en noir et blanc

Si vous êtes fan de romans policiers et de films noirs, il y a de fortes chances que Night Call vous intéresse. D'entrée, l'ambiance est prenante. Nous sommes à Paris, la nuit. Il pleut, il fait froid. Nous, nous sommes bien au chaud dans un taxi. Nous, c’est Houssine, chauffeur rompu aux nuits parisiennes. Sauf qu’au début du jeu, Houssine est agressé par un tueur en série. Il survit miraculeusement mais il est coincé par une inspectrice de police corrompue. Elle fait pression sur lui en utilisant son passé trouble pour le forcer à chercher des infos et dénicher le tueur à sa place.

Disponible sur Steam, la plateforme de jeux vidéo dématérialisés pour ordinateurNight Call est un jeu indépendant, développé par le studio Monkeymoon, avec à peine dix personnes. Si cela rime avec des contraintes techniques et budgétaires, cela s'accompagne aussi de partis pris que ne pourrait pas se permettre une grosse production, comme le choix du noir et blanc total. Cette direction artistique, qui inclut une bande-son électronique planante, mixe habilement les codes du genre "noir", penchant autant vers les films de détectives privés des années 1940 que vers ses itérations plus récentes, comme le Drive de Nicolas Winding Refn.

 

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Une oreille attentive pour délier les langues

Night Call se présente comme un jeu d'enquête classique. Chaque nuit, il faut sortir travailler et chercher des informations. Les clients sont indiqués sur une carte de Paris. Certains sont liés à l’affaire, voire dans la liste des suspects, d’autres de simples badauds qui peuvent se révéler intéressants pour l’enquête… ou pas du tout. Une fois la nuit de travail terminée, il faut faire le point sur les indices recueillis. Au bout de sept nuits, l’inspectrice revient vous voir et il faut lui donner un nom.

Certains clients de "Night Call" sont un peu plus que de simples inventions...

Mais Night Call n'est pas un jeu d'action. On n’incarne pas à proprement parler Houssine, on ne conduit pas le taxi. Il s'agit d'un jeu narratif, tout se passe avec des plans fixes, la plupart des scènes ayant lieu dans la voiture. De là, la progression se fait uniquement avec des dialogues écrits. Il faut simplement choisir ce que dit Houssine à ses clients. Toute la subtilité repose dans la façon que vous aurez de mener les conversations pour faire parler vos passagers. Un mot de travers peut vous coûter un précieux indice.

Il y a trois enquêtes à mener dans Night Call, qui reprennent toutes le même schéma de départ (l'agression d'Houssine, la pression de l'inspectrice) mais changent le nom du tueur, les victimes, le mobile, etc. Paradoxalement, ce n’est pas l'aspect le plus intéressant du jeu, les enquêtes étant relativement simples et surtout un peu répétitives.

Confessions nocturnes

En réalité, Night Call se révèle brillant quand il s'agit de... discuter avec les clients, tout simplement. Les développeurs ont créé près de 90 passagers différents pour enrichir le jeu. Il y a toute la faune parisienne : un prêtre, une prostituée, des étudiants sortant de soirée éméchés, des amoureux en pleine dispute, des entrepreneurs, de vieux briscards nostalgiques du Paris d’avant, des bourgeois et même un SDF… Chacun avec une histoire intéressante, voire touchante. Un véritable exploit pour des personnages en 2D qui n’ont même pas de voix.

Dans "Night Call", il ne faut pas brusquer les clients pour faire durer la conversation.

Les personnages parlent d’eux, de leurs problèmes, de leurs joies… Ce côté "psy" du chauffeur de taxi, c’est justement ce qui intéressait Laurent Victorino, le patron de Monkeymoon. "J'ai eu la chance d'habiter à Paris quand j'étais étudiant. Les soirs où j'avais un peu d'argent, je me permettais de rentrer très éméché en taxi. J'ai toujours trouvé qu'il y avait une atmosphère spéciale dans les taxis parisiens", explique-t-il à Europe 1. "On peut se confier à un total inconnu parce qu'on sait qu'on ne le reverra jamais. Et c'est précisément pour ça qu'on dit parfois aux chauffeurs de taxi des choses qu'on ne dirait pas à nos amis."

Le "Meilleur jeu indépendant" de l'année

Après quelques heures de jeu, ces discussions restent étonnamment passionnantes. Il faut vraiment prendre le temps d’écouter les récits des uns et des autres, essayer de leur tirer les vers du nez sans les brusquer. À travers cette galerie de personnages, Night Call dessine une vision du monde mélancolique mais aussi politique puisqu’il donne la parole aux oubliés, aux petites gens qu’on ne voit jamais dans les jeux vidéo, et dispense ici et là un discours anti-élites très frontal.

Laurent Victorino, patron du studio Monkeymoon, avec le Pégase récompensant "Night Call" (SNJV/Jean-Marie Dufour)

Un positionnement qui ne laisse pas indifférent et qui a valu à Night Call le trophée du Meilleur jeu indépendant de 2019 lors de la première cérémonie des Pégases, équivalent des César pour le jeu vidéo. Une belle récompense et une raison de plus de vous intéresser à cette oeuvre aussi originale que marquante.