Du sexe des anguilles à la psychanalyse : découvrez l'histoire de Sigmund Freud

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Stéphane Bern, édité par Alexis Patri
Alors que la très attendue série En Thérapie vient d'arriver sur Arte, Stéphane Bern s'intéresse, dans Historiquement Vôtre, sur Europe 1, à la destinée d'un certain Viennois devenu célèbre mondialement pour ses théories sur les thérapies, justement : le père de la psychanalyse, Sigmund Freud.

Nous sommes à Paris, en 1885, dans l’amphithéâtre de l’hôpital de la Salpêtrière. Toute la bonne société se réunit chaque semaine pour assister aux Leçons du Mardi du grand neurologue Jean-Martin Charcot. Face à lui, des patientes placées sous hypnose présentent des signes de paralysie et de convulsion. Il les fait disparaître, montrant ainsi que l’hystérie n'est ni une simulation, ni une maladie neurologique, mais bien une maladie fonctionnelle. C'est une névrose !

Jean-Martin Charcot la rapporte à une cause génitale, le mot "hystérie" venant du grec "hyster" qui signifie utérus. Stupéfait, un médecin autrichien de 30 ans assiste à ces démonstrations. Il s’appelle Sigmund Freud. À la suite de ce maître, il expliquera que l'hystérie résulte d'un conflit psychique d'origine sexuelle. 

Formé comme chercheur en biologie, Sigmund Freud a commencé tôt à travailler sur la sexualité… mais celle des anguilles ! On les dit hermaphrodites, est-ce vrai ? Ses recherches n'aboutissent pas. Sous la direction d'Ernst Brücke, grand patron de la physiologie viennoise, il étudie ensuite le système nerveux du petromyzon, une forme primitive de poisson. Il fait alors ses premiers pas en tant que neurologue aux côtés de son ami Josef Breuer, spécialiste des maladies nerveuses.

La cocaïne comme médicament

En 1881, Freud obtient son doctorat et rencontre l'année suivante Martha Bernays. L'amour est immédiat, les besoins financiers aussi. Contraint de renoncer aux plaisirs de la recherche en laboratoire, Freud s'installe alors comme médecin praticien. Dans une lettre, il rend hommage à Charcot : "l'un des plus grands médecins dont la raison confine au génie, personne n'a jamais eu autant d'influence sur moi. Il m'arrive de sortir de ses cours comme si je sortais de Notre-Dame, tout plein de nouvelles idées sur la perfection."

S’il est impressionné, il est quand même à l’aise dans les soirées mondaines du faubourg Saint-Germain organisées par Charcot. Car pour combattre sa neurasthénie et le rendre euphorique, Freud découvre la cocaïne ! Juste avant son départ pour Paris, Freud écrivait à Martha : "Prends garde ma Princesse ! Quand je viendrai, je t’embrasserai à t’en rendre toute rouge. Et si tu te montres indocile, tu verras bien qui de nous deux est le plus fort : la douce petite fille qui ne mange pas suffisamment ou le grand monsieur fougueux qui a de la cocaïne dans le corps !" 

La recherche des causes de "l'hystérie"

De retour à Vienne, docteur Freud reçoit tous les jours dans son cabinet, de 8h à midi et de 15h à 21h. Il abandonne l'hypnose pour la méthode cathartique et pratique aussi l'électrothérapie. Puis, jusque tard dans la nuit, il écrit sur l’hystérie. Jusqu’en 1897, Freud fait l’hypothèse que les névroses, et notamment l’hystérie, trouvent leur origine dans les abus sexuels que tous les enfants auraient subi de la part des adultes au sein de la cellule familiale. C’est la théorie de la séduction. Mais elle est fausse !

Sa pensée évolue au gré de ses rencontres, comme celle avec Wilhelm Fliess, ce médecin berlinois dont les théories extravagantes sur la sexualité le fascinent. Et c’est avec Josef Breuer qu'il publie en 1895 un livre qui deviendra célèbre, Les études sur l’hystérie, dans lequel sont relatés plusieurs cas de femmes hystériques, dont celui de Bertha Pappenheim, patiente de Breuer, surnommée Anna O.

La légende veut qu’elle ait inventé la fameuse "cure par la parole" qui deviendra la "psycho-analyse". Une nouvelle discipline est née. La psychanalyse que met au point Freud est un mouvement de rénovation des médecines de l"âme reposant cliniquement sur la méthode des associations libres. Elle consiste à faire remonter les scènes traumatiques de l'enfance, à l'origine des névroses. Freud conceptualise et popularise la notion d'inconscient, déjà utilisée avant lui et notamment par des philosophes du romantisme allemand.

À la mort de son père, Freud effectue un travail de remémoration de son propre passé et construit le complexe d’Œdipe. Il apporte une nouvelle définition à la notion de "stades" : prégénital (oral et anal) et génital, en fonction de l'évolution du sujet et de sa relation à quatre zones érogènes qui se répartissent sur quatre régions du corps auxquelles correspondent les actes simples de la vie quotidienne des enfants : succion du pouce, sein de la mère ou encore masturbation.

Naissance de la Société psychanalytique de Vienne

De cette période d’introspection résulte son ouvrage L’Interprétation des rêves, publié en 1900. Freud s'attend à toucher un large public. Mais il n'obtient d’abord qu'une audience parmi la communauté scientifique avant de devenir progressivement un classique pour les écrivains et les poètes, et notamment pour les surréalistes.

Le père de la psychanalyse a ses fidèles disciples : Sandor Ferenczi, Otto Rank, Karl Abraham, Carl Gustav Jung et plusieurs autres. Il les retrouve chez lui, lors des réunions du mercredi qui deviendront bientôt la Société psychanalytique de Vienne.

En 1909, Freud, Ferenczi et Jung sont invités aux États-Unis. Jung est déjà connu outre-Atlantique mais Freud triomphe et conquiert une immense audience. La rivalité entre les deux hommes n'arrange pas leur relation : le conflit est inévitable. Ils se séparent en 1913 dans la douleur et la violence.

Les désaccords entre Jung et Freud sont nombreux. Parmi eux, la théorie sexuelle de Freud, que rejette Jung. Jung reproche à Freud de mettre la sexualité au cœur de son travail sur les névroses. Mais ça ne l'empêche pas d'être un fervent adepte des relations charnelles avec les femmes, patientes et disciples ! Freud, quant à lui, souffre d'abstinence pendant ses longues fiançailles, les femmes à cette époque devant rester vierges jusqu'au mariage. Et à 40 ans, après la naissance d'Anna, son sixième enfant, il cesse, en accord avec Martha, toute relation charnelle.

Fuite du nazisme

Et en 1920 Freud va au-delà du principe de plaisir dans un livre où il introduit de nouvelles pulsions : celles de mort (thanatos) et de vie (eros). Il porte aussi un regard sur son temps dans une correspondance entretenue avec Einstein, "Pourquoi la guerre ?", en 1914. Clairvoyant sur la psyché humaine, Freud est en revanche aveugle face à la montée du nazisme en Autriche. En 1933, ses livres sont brûlés à Berlin. Les nazis le surnomment "le faux médecin juif de Vienne".

Quand ils entrent dans la capitale autrichienne en 1938, Freud est poussé à l'exil par son amie Marie Bonaparte. Elle paye alors la "rançon" exigée par les nazis pour tous ceux qui veulent quitter l’Autriche, et plus encore les Juifs victimes aussi de l’antisémitisme autrichien. Freud part pour Londres. Ses quatre sœurs seront exterminées par les nazis.

Grand tabagique malgré les conseils de son entourage, Freud fume près d’une vingtaine de cigares par jour. "Lorsque je renonce à cette douce habitude", explique-t-il, "mes intérêts intellectuels diminuent fortement". Fumer inspire le père de la psychanalyse, mais lui provoque surtout un cancer de la mâchoire pour lequel il subira trente-deux opérations.

Force est de constater, pour celui qui guérit les maux de l’esprit, que ceux du corps peuvent être incurables. La douleur est son lot quotidien, Freud doit porter une prothèse qui le fait tant souffrir qu'il la surnomme "le monstre".

Le 23 septembre 1939, quelques jours après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, la douleur n'est plus supportable. Freud demande à son médecin personnel et ami, Max Schur, d'abréger ses souffrances grâce à des injections de morphine. Sa fille Anna donne son accord, et le père de la psychanalyse disparaît.