La véritable histoire des orgies de Philippe d'Orléans, le "régent débauché"
Dans l'émission "Historiquement vôtre", Stéphane Bern fait le récit de la véritable histoire du "régent débauché" Philippe d'Orléans, dont les célèbres "petits soupers" ont été immortalisés par Bertrand Tavervier dans le film "Que la fête commence". L'historien Alexandre Dupilet, qui a consacré trois livres au régent, démêle avec lui le vrai du fantasme.
Ce libertin a inspiré le cinéma. Les soirées de débauche de Philippe d'Orléans, restées sous le nom de "petits soupers", ont marqué l’imaginaire collectif, grâce notamment au film de Bertrand Tavernier Que la fête commence. Celui qui régit la France pendant la minorité de Louis 15 et a popularisé le champagne était certes un grand amateur de bonne bouffe et de sexe. Mais toutes les rumeurs qui ont couru à son sujet ne sont pas avérées. Parmi les pires d'entre elles, on retrouve la marque de ses détracteurs, prêts au pire pour lui nuire.
"Si le régent est resté dans la mémoire collective comme l'incarnation du libertin, c'est qu'il y a un vrai fond de vérité et que les petits soupers ont réellement existé", prévient Alexandre Dupilet, historien et auteur du livre Le régent : Philippe d'Orléans, l'héritier du Roi-Soleil.
Les femmes, une obsession de jeunesse
Le futur régent, Philippe duc d'Orléans, naît en 1674 au château de Saint-Cloud. Son père, n'est autre que "Monsieur", le frère du roi Louis 14, dont on dit qu'il partage les amants de sa femme. Sa mère est Elisabeth-Charlotte de Bavière, dite la princesse palatine. Élevé d'abord par des femmes, Philippe est ensuite confié à un précepteur, Guillaume Dubois.
Ce drôle d'abbé de trente ans lui délivre une éducation remarquable : religion, histoire, sciences, chimie, latin, grec, anglais, allemand… On le retrouvera ensuite dans les récits faits des petits soupers. "Philippe était quelqu'un qui avait de la conversation", complète l'historien d'Alexandre Dupilet. "On sait qu'il avait de l'esprit et un certain humour".
La vie sexuelle de Philippe démarre à 13 ans, âge auquel il est défloré par une comtesse qui a cinquante ans de plus que lui. La princesse palatine disait de son fils que "son amour ne consiste que dans la débauche". À 14 ans, il met enceinte la fille du concierge des meubles du Palais Royal. "Sa mère dit de lui qu'il a un assez joli visage. Mais qu'il manque de grâce, sauf lorsqu'il danse", ajoute l'historien Alexandre Dupilet.
"Un mariage forcé lui fit chercher d’autres plaisirs"
Mais le futur Régent n'a pas besoin de danser pour céder à ses pulsions. À 20 ans, Philippe fréquente les prostituées présentes autour du Palais Royal et les danseuses de l'Opéra Garnier tout proche. "Compte tenu de son niveau de notoriété, les danseuses s'inclinaient devant ce type de grand seigneur", indique Alexandre Dupilet. "Aujourd'hui, son comportement serait vraiment très problématique."
C'est à 20 ans que son oncle le roi Louis 14 le marie avec Françoise-Marie, une bâtarde que le roi a eue avec la Montespan. Louis 14 l'a certes légitimée, mais la princesse palatine, très à cheval sur l'étiquette, vit le mariage de son fils comme une honte. Elle écrit d'ailleurs au sujet de sa belle-fille qu'elle "ressemble à un cul". Philippe d'Orléans surnomme quant à lui sa femme "Madame Lucifer", ce qui ne l'empêche pas de lui faire huit enfants.
Dans ses Mémoires, Saint-Simon écrit au sujet de Philippe d'Orléans, "le dégoût d'un mariage forcé et si inégal lui fit chercher à se dédommager par d’autres plaisirs." Ce sont ces plaisirs qui vont faire scandale.
Une vie trop privée pour l'époque
Philippe devient régent à la mort de son oncle Louis 14 en 1715, car le futur Louis 15 est encore trop jeune pour régner. Le régent quitte aussitôt Versailles pour s'installer au Palais Royal, à Paris. Mais, contrairement au Roi-Soleil qui faisait tout en public, lui déteste être en représentation. On lui doit d'ailleurs en grande partie l'invention de la vie privée au 18ème siècle. Le régent travaille toute la journée, ne s'octroyant que quelques tasses de chocolat en guise de déjeuner.
Le soir venu, il fait fermer les portes du palais et demande aux valets de s'en aller. "On restait en petit comité. C'est là que se déroulaient les fameux petits soupers", dévoile l'auteur de La Régence absolue: Philippe d'Orléans et la polysynodie (1715-1718).
Ce goût du secret, mal vu par ses contemporains, va donner naissance aux rumeurs les plus folles sur les nuits que celui que l'on surnomme vite le "régent débauché". À tel point qu'un pamphlet populaire de l'époque dit au sujet de Philippe d'Orléans "Et ce prince admirable/ Passe ses nuits à table/ En se noyant de vin/ Auprès de sa putain."
Omelette et champagne
Selon ses rumeurs, le "régent débauché" passe ses nuits à table entouré de "roués", des amis surnommés ainsi car dignes du supplice de la roue tant ils sont débauchés. Parmi eux, il y aurait les marquis d’Effiat et de La Fare, et le Grand prieur de France, Monsieur de Vendôme. Les femmes invitées peuvent être filles d’Opéra ou femmes du monde, comme Mesdames de Tencin, de Sabran, d’Averne ou de Phalaris. La plupart seraient ses maîtresses.
Lors de ces "petits soupers", on boit et on mange jusqu'à s'en rendre malade. Les huîtres, considérées comme aphrodisiaques, sont gobées en même temps que bouillons, homards, langoustines, écrevisses et foie gras. Les convives se droguent aussi au sucre, avalant des montagnes de meringues et de glaces. Le nom de "petits soupers" est donc bien empreint d'ironie.
Pour faire glisser les victuailles dans les estomacs, le "régent débauché" fait couler à flot le champagne, en lançant ainsi la mode en France. "Ce qui vraiment n'est pas une légende, c'est que les invités de Philipe d'Orléans buvaient énormément", confirme Alexandre Dupilet.
L'historien nuance cependant l'orgie alimentaire. "Comme les valets étaient partis, il faut savoir que le régent et ses invités devaient cuisiner eux-mêmes", rappelle-t-il. "Or, le régent n'était spécialiste que d'un seul plat : l'omelette. Ce n'est pas non plus quelque chose de gargantuesque."
Les parties fines du régent ?
Mais ce n'est pas le volet alimentaire des petits soupers qui fait le plus scandale. Ces repas seraient, selon les rumeurs, l'occasion pour le régent de toutes les excentricités sexuelles. Il surnommerait ainsi à table sa maîtresse, madame de Parabère "mon gigot" et "mon aloyau". Et chaque convive a ainsi son surnom tendancieux. Le duc de Brancas devient "la Caillette gaie", le comte de Nocé "Braquemardus", mais aussi "mon beau-frère", car il couche avec une des maîtresses du régent, qui passe lui d'une étreinte à l'autre.
Les uns coucheraient donc avec les autres, devant les yeux de tous les invités de ce qui serait de véritables parties fines. Mais ces rumeurs sont-elles bien vraies ? "Le problème, c'est que l'on n'en sait rien. On ne peut pas le prouver", explique l'historien Alexandre Dupilet. "A priori, ces orgies étaient seulement d'immenses beuveries. Que ces orgies dégénéraient en parties fines est de l'ordre du fantasme."
Un abbé Dubois pas si vicieux
Vraies ou non, ces orgies choquent les contemporains du régent, qui s'amusent cependant à en propager la rumeur. Ils dénoncent surtout la présence active aux petits soupers de l'abbé Dubois, celui-là même qui a donné son instruction au régent. Le peuple de Paris le surnomme "le maquereau" et crée pour lui la contrepèterie "il court, il court, le furet". Saint-Simon décrit dans ses Mémoires ce drôle de personnage comme "un petit homme maigre, effilé, chafouin, à perruque blonde, à mine de fouine". Le mot se chuchote même que l'abbé, sainte horreur, serait athée.
Mais là encore, la réalité historique semble un peu différente. "Il n'y a aucune véritable preuve que l'abbé n'ait été ne serait-ce que présent à ces petits soupers", corrige l'historien spécialiste du régent et auteur du livre Le Cardinal Dubois - Le génie politique de la Régence.
Selon lui, les origines modestes et le pouvoir politique grandissant de l'abbé Dubois sont mal vus. Les rumeurs naissent donc à son sujet afin de lui nuire. "Saint-Simon a largement contribué à forger cette légende d'un abbé qui était athée", explique-t-il. "Dubois avait des maîtresses, mais pour les hommes d'Église de l'époque, c'était assez courant."
Des rumeurs d'inceste
Les pires rumeurs ne concernent toutefois pas l'abbé Dubois, mais bien directement Philippe d'Orléans. En 1710, sa fille, surnommée "Joufflote", s’apprête à devenir duchesse de Berry. Au même moment, Saint-Simon écrit que se disent "les choses les plus horribles sur l’amitié du père pour la fille.". Autrement dit, le régent coucherait avec sa fille, notamment lors des petits soupers. Une rumeur qui pourrait valoir à Philippe d'Orléans sa régence et sa tête.
"C'est une rumeur qui est complètement infondée et qui est lancée par les ennemis de sa fille, dont la duchesse de Bourbon, pour lui nuire", rassure Alexandre Dupilet. "Il est vrai que le régent adorait sa fille, et Bertrand Tavernier le montre bien dans son film. Mais les rumeurs d'inceste sont absolument infondées."
Une régence réussie en dépit des rumeurs
Malgré l'opprobre jeté sur la régence de Philippe d'Orléans, l'histoire retient de ces huit années sa bonne capacité à gouverner le pays. L'homme ne se voyait pourtant pas rester dans l'histoire de France. "Il avait beaucoup de mal à se prendre au sérieux, y compris dans son métier de régent", indique l'historien spécialiste de Philippe d'Orléans. "Il ne se faisait aucune illusion sur l'empreinte politique qu'il pourrait laisser."
Selon lui, le "régent débauché" a pourtant réussi sa mission d'intérim, avant son décès en 1723. "C'est vraiment un excellent politique et un personnage brillant", observe-t-il. Mais l'historien explique aussi que Philippe d'Orléans se lasse assez vite de son rôle. "Dès 1720, alors que ça ne fait que cinq ans qu'il gouverne la France, il a déjà envie de se retirer", explique-t-il. Et pour cause, le régent est un touche-à-tout qui aime passer d'une passion à l'autre. "C'est un très, très bon musicien, mais aussi un très bon peintre et un très bon chimiste qui s'intéresse à tout", dévoile-t-il.