Stéphane Bern raconte la vraie histoire de Voltaire, insolent de l'enfance à la mort

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Stéphane Bern, édité par Alexis Patri , modifié à
France 2 diffuse lundi soir les deux derniers des quatre épisodes de la mini-série "Les aventures du jeune Voltaire". Dans un numéro de "Historiquement vôtre" sur les jeunes génies, Stéphane Bern fait lundi le récit de la vie d'un homme qui gardera toute sa vie son insolence d'adolescent et son rejet de toute autorité religieuse.

S'il est devenu un célèbre philosophe des Lumières, Voltaire s'est surtout illustré dans sa jeunesse comme poète mondain et tragédien. C'est cette période de sa vie que la fiction de France 2 Les aventures de jeune Voltaire, dont les deux derniers épisodes sont diffusés lundi soir, explore. Stéphane Bern revient sur cette partie de sa vie, mais également la suite, à l'occasion d'un numéro d'Historiquement vôtre consacré aux jeunes génies.

Nous sommes aux alentours de 1706, au collège jésuite Louis le Grand, à Paris. En classe, un certain François-Marie Arouet joue avec sa tabatière, au lieu d'écouter. Son enseignant, mécontent, lui inflige comme punition de composer une poésie que le jeune garçon récite aussitôt : "Adieu, ma pauvre tabatière ! Adieu, je ne te verrai plus. Ni soin, ni larmes, ni prières ne te rendront à moi, mes efforts sont perdus. Adieu, ma pauvre tabatière ! Qu’on oppose entre nous une forte barrière ! Me demander des vers ! Hélas ! Je n'en puis plus ! Adieu ma pauvre tabatière !"

Les camarades du futur Voltaire sont hilares, on peut imaginer le chahut dans la classe. Le jeune rebelle n'a que 12 ans mais on sent déjà poindre l'insolence qui participera à son succès.

Voltaire est né François-Marie Arouet en 1694, à Paris, dans une famille de bourgeois aisés. Tout jeune déjà, il s'impose comme un petit génie. La légende veut que, à 3 ans seulement, François-Marie est capable de réciter la Moïsade, un texte critiquant la religion. Apprenant les rudiments de la versification, il s'adonne avec son frère Armand, qui a 9 ans de plus que lui, à des joutes poétiques qui font les délices de la famille.

Mais cette complicité entre les deux frères ne durera pas à l'âge adulte. Alors que François-Marie prendra le clergé en horreur, Armand deviendra quant à lui un dévot forcené. Leurs rapports seront si peu chaleureux que Voltaire, après sa longue période d'exil en Angleterre, n'informera même pas son frère de son retour en France.

Élève brillant et turbulent

Quand il est encore jeune adolescent, son père envoie François-Marie étudier au collège parisien Louis-Le-Grand, où il fait l'admiration de ses maîtres. Le jeune élève préfère débattre avec eux, plutôt que d'aller en récréation. Avec ses camarades, le petit génie remporte aussi tous les suffrages. Ses traits d'humour mettent les rieurs de son côté, et il se lie vite d'amitié avec plusieurs membres de la haute noblesse, un milieu auquel il rêve d'appartenir.

À 19 ans, après avoir étudié le droit sur ordre de son père, François-Marie Arouet veut devenir homme de lettres. Grand, maigre, mais ne manquant pas d'allure, il fréquente les salons, où il fait l'apprentissage de la conversation galante, très utile pour séduire les dames. La première à succomber s'appelle Pimpette. Mais la mère de la jeune fille ne voit pas cette relation d'un bon œil. La rupture est brutale.

Emprisonné pour un poème moqueur

François-Marie se console dans les bras de Suzanne-Catherine de Corsembleu de Livry. Elle rêve de faire carrière sur scène et  prie François-Marie de lui donner des leçons de diction, qui se transforment vite en dialogues amoureux. Les deux amants ne se quittent plus, jusqu'à ce que François-Marie trouve Suzanne dans les bras d'un autre. Décidément, François-Marie a bien du mal à retenir ses conquêtes.

Et retenu, c'est lui qui va l’être. François-Marie va trop loin en écrivant une épigramme moqueuse sur les rapports incestueux que le "régent débauché" entretiendrait avec sa fille, la duchesse de Berry. En 1717, l'insolent est arrêté. Direction la prison de la Bastille. François-Marie Arouet est privé de contacts humains, mais aussi d'encre et de papier. L'épreuve est pénible : "J'appris à m'endurcir contre l'adversité, et je me vis un courage que je n'attendais pas", écrit-il. Enfin, après presque un an de détention, il est libéré.

S'inventant une particule, il se fait désormais appeler Monsieur de Voltaire et se met au travail pour devenir un auteur de premier plan. Le 18 novembre 1718, Voltaire a 24 ans, et sa première pièce de théâtre, Œdipe, fait un triomphe. Elle est bientôt suivie par La Henriade, un poème épique qui fait de lui l'un des écrivains les plus connus de France. 

Voltaire devient la coqueluche du microcosme parisien. Le régent, qui n'est pas rancunier, le gratifie d'une pension de deux mille livres. Voltaire lui exprime sa gratitude avec malice : "Je remercie Votre Altesse Royale de continuer à se charger de ma nourriture, mais je la supplie de ne plus se charger de mon logement". Voltaire fait évidemment référence à son précédent séjour à la Bastille. Comme souvent avec le poète, tout finit dans un grand éclat de rire.

A 30 ans, Voltaire s'est bâti une gloire littéraire qui s'étend bien au-delà des frontières du royaume. Si sa pièce de théâtre Œdipe fait quelques allusions impertinentes à l'intolérance religieuse, qui deviendra plus tard la bête noire de Voltaire, la politique et l’engagement philosophique ne sont pas sa priorité.

Pour l'instant, il fait avancer sa carrière et sa fortune. Quand le père de Voltaire meurt lui laissant un beau pécule, il s'empresse de le faire fructifier en se lançant dans les affaires. Des affaires pas toujours très nettes, d'ailleurs. Ainsi, en 1729, il achète tous les tickets d'une loterie pour en gagner le premier prix. Et ça fonctionne ! "Je suis né assez pauvre, j'ai fait toute ma vie un métier de gueux, de barbouilleur de papier et cependant me voilà maintenant avec deux châteaux, 70.000 livres de rente et 200.000 livres d'argent comptant", écrira-t-il à son banquier vers la fin de sa vie. 

Voltaire mène une existence plutôt confortable. Mais, en 1726, il subit une humiliation qui le marque pour toujours. À l'opéra, le chevalier de Rohan-Chabot, un gentilhomme arrogant appartenant à l'une des plus illustres familles du royaume, se moque du pseudonyme de l'homme de lettres : "Monsieur de Voltaire, Monsieur Arouet, comment vous appelez-vous ?" Voltaire lui rétorque "Monsieur, mon nom je le commence, et vous finissez le vôtre !". Et les ennuis commencent.

Humilié par le chevalier de Rohan-Chabot

Ulcéré, le chevalier de Rohan-Chabot lève sa canne, tandis que Voltaire tire l'épée qu’il porte sur lui. Mais on les sépare. Quelques jours plus tard, alors que Voltaire dîne chez son ami le duc de Sully, on le fait appeler.

Pierre Milza décrit la suite dans sa biographie de Voltaire : "Il descend […] pour parler à la personne qui l'a envoyé chercher et se voit entouré par deux ou trois gaillards, qui le frappent à coups de gourdin. Rohan, le chevalier que Voltaire avait offensé quelques jours plus tôt, surveille l'opération." Selon certains témoignages, le chevalier crie à ses gens : "Ne frappez pas sur la tête, il en peut sortir quelque chose de bon", puis, s'estimant suffisamment vengé, leur ordonne de mettre fin à la correction.

Humilié et blessé, Voltaire veut obtenir réparation. Mais l'homme qui l'a attaqué est un aristocrate puissant. Voltaire, malgré sa notoriété, s'aperçoit bien vite qu'il ne fait alors pas le poids. Les Rohan obtiennent que le bruyant Voltaire soit arrêté. Il est libéré deux semaines plus tard, à condition qu'il s'exile.

Pendant 3 ans, Voltaire séjourne alors en Angleterre, où il a tout le temps nécessaire pour réfléchir à l'iniquité de la justice française. Il en revient, à presque 40 ans, avec les Lettres philosophiques dans lesquelles il fait l'apologie de la politique anglaise et souligne les faiblesses de la monarchie française. 

Prudent (il sait que ses écrits pourraient lui valoir un nouveau séjour en prison), Voltaire se retire quelque temps en Lorraine, chez sa maîtresse la mathématicienne et physicienne Emilie du Châtelet, une brillante femme des Lumières. Puis, grâce au soutien de la marquise de Pompadour, maîtresse de Louis XV, Voltaire obtient d'être rappelé à Versailles, où il est nommé historiographe du roi. En faisant son entrée à l'Académie française, Voltaire devient l'homme le plus en vue d'Europe. 

Blasphémateur jusqu'à son lit de mort

Il correspond alors avec tous ceux qui comptent : les philosophes des Lumières, d'Alembert, Diderot, et même ceux qui ne comptent pas, à ses yeux en tout cas. C'est-à-dire Rousseau. Sans s'être jamais rencontrés, ils s'opposent par lettres interposées dans des échanges restés célèbres. Mais Voltaire échange aussi avec des monarques qui se veulent éclairés, tels que l'impératrice Catherine II de Russie ou le roi de Prusse Frédéric II, qui l'invite à séjourner à sa cour.

Il est né François-Marie Arouet. Il est devenu Voltaire. On le surnomme désormais "le roi Voltaire". Un roi qui finira sa vie, aussi insolent qu'il l'était adolescent. Alors qu'il agonise, un homme d'Eglise lui demande s'il croit en Jésus-Christ. Voltaire lance avec un dernier trait d'esprit : "Au nom de Dieu, Monsieur, ne me parlez pas de cet homme !"