Hervé Vilard : "La gloire est une maladie"

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A.D , modifié à
A 70 ans, le chanteur garde la blessure d'être orphelin. Il aspire désormais au théâtre.

Il a désormais 70 ans et cela fait 50 ans que Capri c'est fini. Hervé Vilard, qui s'appelle en réalité René, a eu une vie de roman qu'il dévoile dans l'émission Il n'y a pas qu'une vie dans la vie, dimanche.

Ce qu'il retient après cette longue carrière, c'est que "la gloire n’existe pas. Il faut s’en méfier, la gloire est une maladie, c’est une chose dangereuse, ça fait mourir, la gloire. Il faut voir le nombre de stars, d’écrivains qui sont partis. Quand on est adulé, qu’on ne sait plus le prix du pain, on n’est plus un être humain, on est un objet." S'il se méfie de la gloire, c'est peut-être parce qu'il n'a jamais oublié son passé d'orphelin.

Matricule 764. Le matricule 764 est celui donné par l’assistance publique à cet enfant arraché à sa mère sur dénonciation d’une voisine. Né dans un taxi à Paris, le jeune René enchaîne orphelinat saint-Vincent-de-Paul, sanatoriums, familles d’accueil et maisons de correction. Heureux dans sa première famille d’adoption - "des paysans dont les parents ou grands-parents avaient travaillé chez George Sand, dans le cœur du Berry" - il est blessé par le changement continuel de famille. "Quand on est orphelin, on a peur d’aimer", souffle-t-il. Car à chaque fois que sa mère - qui n'avait pas signé la charte d'abandon - le retrouvait, il devait aller ailleurs.

C'est un curé de campagne, l’abbé Angrand, qui apprend au jeune René à ne pas vivre "comme un enfant sauvage". Réné Vilard est alors enfant de chœur et l’abbé permet à l’enfant de voir sa mère biologique. "Ma mère venait à la messe, c’est lui (l'abbé) qui payait le train. Il avait fait un pacte avec elle. Je voyais cette dame, je ne savais pas que c’était ma mère. Il avait compris qu’à force de me changer de famille, j’étais déstabilisé, livré à moi-même", confie la chanteur.

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"Quand on est orphelin, on a peur d’aimer"

Daniel Cordier, son sauveur. L’année de ses 16 ans, il est à Paris, à l'orphelinat. Il s'en évade et se fond dans le quartier de Pigalle. Il a faim. Rue Vercingetorix, un homme peint. Sur son chevalet trône un sandwich. Ce peintre, c’est Dado. "Il a pris le sandwich avant que je lui pique et il l’a partagé." Il l’invite à son vernissage, où il se rend pour manger les petits fours. Tout change alors, sa vie bascule. Des invités le repèrent ainsi que le directeur de la galerie, qui n'est autre que l'ancien secrétaire de Jean Moulin, Daniel Cordier. René Vilard avoue qu’il s’est évadé de l’orphelinat. Daniel Cordier l'invite à déjeuner le lendemain. "Il m’a dit : 'Tu vas rentrer à l’orphelinat et on va t’en sortir.'" La promesse est tenue un mois et demi plus tard. Daniel Cordier devient son tuteur légal et fait son éducation. René Vilard déjeune ainsi avec André Malraux, Pierre Mendès-France, Louis de Vilmorin, les de Gaulle, les Rothschild, François Mitterrand.

Capri, un tube écrit  en dix minutes. En plus de faire son éducation, l'homme providentiel lui trouve un travail chez un disquaire, parce que le jeune Vilard avait dit vouloir "être chanteur". A 19 ans, Vilard écrit et chante Capri où il n’était jamais allé. Il explique comment est née la chanson : "Dans le métro, il y avait une affiche qui disait ‘Partez à Capri pour tant’. A l’époque, j’étais encore disquaire et je chantais beaucoup d’Aznavour qui disait cinquante fois dans la chanson ‘C’est fini’." Il combine alors l'affiche et les paroles d'Aznavour et "en dix minutes, c’était fait !" Un tube, la chanson préférée de Marguerite Duras en prime ! Un tour de force qui lui rapporte en 1965 un million de dollars.

Pas de famille. En 1967, la star fait son coming-out. "J’ai fait comme d’habitude, on m’a posé une question, j’ai répondu. Certains m’ont boudé, certains chanteurs m’ont insulté. Je l’ai encaissé avec beaucoup d’humour." Lui qui était orphelin a choisi de ne pas adopter. "Cela m’a toujours fait peur. J’ai essayé d’avoir des enfants, ça a échoué", avoue-t-il. "J’ai vu aussi beaucoup de fils d’artistes très malheureux." En 1989, il restaure le presbytère de l’abbé Angrand, un lieu où il écrit ses deux livres, L’âme seule et Le bal des papillons. S'il a depuis revendu les lieux, l'expérience n'a pas été anodine. "J'ai reconstruit. J’ai eu l’impression de faire quelque chose, moi qui n’avait pas eu de famille. C’était aussi pour m’évader de ce métier parfois très dangereux où l’on sombre dans la poudre, dans l’alcool", avoue-t-il.

Il jardine avec Jean-Paul II. Celui qui a aussi jardiné au Vatican avec un certain Jean-Paul II, en salopette et un sécateur a la main a également fait une carrière nationale au Brésil pendant huit ans. Il compte maintenant faire quelques adieux à la scène en 2017. "On ne chante pas à 70 ans des guillerettes en disant 'je vais t’aimer'. J’ai le sens du ridicule, je vais arrêter de chanter toutes ces bluettes". Désormais, il travaille à un troisième livre et a très envie de théâtre. Il sait déjà ce qu'il jouera : Le bureau, de Guitry.