Frédéric Lenoir : "La protection sanitaire ne peut pas être la valeur suprême d'une société"

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Alexis Patri , modifié à
L'écrivain Frédéric Lenoir appelle à relativiser la crise actuelle au regard de l'Histoire, et aimerait que l'on trouve des compromis sur la question sanitaire pour ne pas mettre à mal nos libertés individuelles. Une pensée qu'il développe au micro d'Anne Roumanoff.
INTERVIEW

L'écrivain Frédéric Lenoir s'inquiète des conséquences d'une protection sanitaire trop importante sur les libertés individuelles des citoyens. Face à la crise du Covid-19, il explique au micro d'Anne Roumanoff qu'il faudrait "peut-être mettre plus de souplesse et faire des compromis avec le sanitaire."

Une crise "déstabilisante" qui ne doit pas faire oublier la liberté

Frédéric Lenoir ne nie pas les difficultés liées à la pandémie. "On vit quelque chose qui évidemment nous déstabilise, parce qu'on n'a jamais vécu ça", explique-t-il.  "On n'a jamais vécu une pandémie qui nous atteint autant avec tous ces bouleversements de nos modes de vie."

Mais, selon le philosophe, la gravité de la crise ne doit pas rogner nos principes fondamentaux. "On ne peut pas non plus mettre la protection sanitaire comme valeur suprême dans une société. Les libertés sont essentielles", rappelle-t-il. "On ne peut pas vivre avec des privations de liberté qui durent indéfiniment".

Il redit son inquiétude du premier confinement, où les visites dans les EHPAD avaient été interdites. "Il est plus important de mourir en dignité que d'essayer de prendre le maximum de précautions pour que personne ne puisse rentrer dans un hôpital ou une maison de retraite", théorise le sociologue.

"Il faut accepter que l'on va mourir"

Frédéric Lenoir explique que ce déséquilibre ente précautions sanitaires et libertés individuelles vient notamment de la place, toujours plus réduite, qu'occupe la mort dans notre société. "On attache un prix très, très fort à la vie. On essaie de vivre le plus longtemps possible", observe-t-il. "Et tant mieux, je ne critique pas du tout ça. Mais il faut quand même accepter que la mort fait partie de la vie, que l'on va tous mourir un jour."

"On vit comme si on était immortel. Et je crois que, à un moment donné, il faut accepter que l'on va mourir", explique le philosophe.

Relativiser au regard de l'histoire

Pour le sociologue, nous oublions que notre société s'est relevée de crises plus graves. "Si je pense à l'histoire longue, je me dis : 'Mes grands-parents ont vécu bien pire. Ils ont vécu deux Guerres mondiales atrocement meurtrières", se souvient-il, avant de dévoiler une anecdote personnelle. "L'autre jour, je me promenais à côté de chez moi. Je pense que j'avais dû faire un peu plus d'un kilomètre", confie-t-il.

"J'entends les hélicoptères qui surveillent ma région. J'ai eu la trouille au ventre. Puis je me suis mis à rire, en me disant que mes grands-parents ont vécu ça pour de vrai. Il y avait vraiment un danger de vie et de mort s'ils se faisaient attraper pendant la guerre."

Frédéric Lenoir pense que si cette crise nous déstabilise tant, c'est que nous avons été plutôt épargnés. "Il ne faut pas oublier que l'on vit depuis 60 ans une époque unique dans l'histoire de l'humanité, une époque de paix, de stabilité et de prospérité", raconte-t-il. "Et donc qu'aujourd'hui, cela soit un peu remis en cause, qu'on ait une déstabilisation, qu'on ait effectivement des problèmes économiques qui vont sans doute s'aggraver, c'est dur à vivre pour beaucoup. Mais n'oublions pas que ça a été bien pire dans le passé."