D’un geste de précaution à rituel obligatoire : la longue histoire de la poignée de main

  • Copié
Clémentine Portier-Kaltenbach
La poignée de main est aujourd’hui devenue courante dans de nombreuses sociétés. Mais avant d’être popularisée à partir de la Révolution française, elle a longtemps été un geste de précaution dans l’Antiquité. La journaliste et chroniqueuse Clémentine Portier-Kaltenbach a retracé son histoire dans l'émission Historiquement vôtre.

Souvenez-vous : avant le coronavirus, on se serrait allégrement la main entre amis, collègues ou connaissances. Ce geste si commun dans notre "vie d’avant", que beaucoup d’entre nous ont pratiquement oublié, n’a pourtant pas toujours été aussi populaire dans nos sociétés. Savez-vous quelle en est l’origine ? La journaliste et chroniqueuse Clémentine Portier-Kaltenbach a retracé la longue histoire de la poignée de main dans l’émission Historiquement vôtre sur Europe 1.

Une précaution pour éviter de se faire tuer dans l’Antiquité

"Depuis quand existe la poignée de main ? L'iconographie dont on dispose montre des poignées de main dans l'Antiquité grecque, sur des stèles du Ve siècle avant Jésus-Christ. Homère mentionne dans l'Iliade la poignée de main comme un geste de paix ou d'allégeance.

Chez les Romains, se serrer la main est un geste de précaution pour s'assurer que celui d'en face ne cache pas une arme dans sa manche, voire dans l'autre main. César, assassiné de 23 coups de poignard par des sénateurs, était bien placé pour savoir qu'on pouvait cacher une arme blanche dans sa manche assez facilement. Et d'ailleurs aujourd'hui encore, en Angleterre on ne se serre jamais la main entre avocats. On se fait un geste cordial de la main parce qu'on est supposé être entre hommes de loi et se faire absolument confiance. Les Romains, pour se saluer, se serraient l'avant bras, comme dans le film Ben-Hur.

Un geste sacralisé par le Christianisme

Avant de devenir un geste de salutation, la poignée de main est sacralisée dès l'avènement du Christianisme dans le monde occidental. C'est dans les grandes circonstances, quand il faut prendre un engagement solennel, qu'on donne sa main. Comme lors du mariage, le fiancé demande la main de la fille et les époux se donnent la main pour passer les anneaux bénis à l'annulaire .

Dans le rituel de serment d'hommage prêté par le vassal à son seigneur, le vassal se met à genoux, les mains jointes. Il faut prêter serment de ne pas être trop cruel. Cet hommage-là a existé pendant 700 ans.

Plusieurs façons de se serrer la main

Il y a des façons de se saluer et de se serrer la main comme processus d'identification, par exemple chez les francs-maçons qui mettent un doigt à l'intérieur. Il y a aussi le 'tope la' entre marchands, qui est comme une poignée de main et permet de sceller un accord.

Il y a deux poignées de main qui sont connues dans le monde entier : la Française et le 'shake hand' à l'anglaise. Nous les Français, on se serre la main à tout bout de champ. Tandis que les Anglais se secouent la main. Et la poignée de main est donnée une fois pour toute quand on se rencontre. Ils sont moins friands de poignée de main que nous.

Un symbole d’égalité popularisé à la Révolution française

Jusqu'à la Révolution française, la poignée de main ne se pratiquait que dans la noblesse et la grande bourgeoisie. Dans le peuple on se donnait plutôt des accolades, des embrassades. La poignée de main à l'anglaise devient à la mode en France à la fin du 18ème, et c'est Voltaire qui en parle. C'est Marie-Antoinette qui aurait vu Lucy de Dillon faire un 'shake hand' au duc de Dorset, ambassadeur d'Angleterre, en 1787. C'est après ça que le 'shake hand' a commencé à se propager. Casanova le mentionne dans ses mémoires.

Puis à la révolution, la poignée de main se démocratise. Si vous regardez le tableau qui représente le serment du Jeu de Paume, on se serre la main. Dans le tableau entre clergé et tiers état, qui représente la nuit du 4 août et l'abolition des privilèges, les personnages se serrent la main. Ce geste est devenu populaire parce qu’en se serrant la main, on se met en position d'égal à égal. C'est l'idée d'égalité entre les sujets, on abandonne un système dans lequel on fait la révérence à une hiérarchie.

Quand les poignées de main deviennent historiques

Mais cela prendra du temps pour que la poignée de main devienne une évidence. En atteste cette scène de Madame Bovary, de Gustave Flaubert, 60 ans après la Révolution française. "Ils s'avancèrent l'un vers l'autre. Il tendit la main, elle hésita. A l'anglaise, fit-elle en abandonnant la sienne."

Après quoi la poignée de main rentre dans les usages diplomatiques. Et puis, les poignées de main deviennent historiques : poignée de main entre Ribbentrop et Molotov en 1939 (lors de la signature du Pacte de non-agression entre l’Allemagne nazie et l’URSS en 1939, ndlr), poignée de main entre le pape Jean-Paul II et Mikhaïl Gorbatchev en 1989, la fameuse poignée de main entre Kohl et Mitterrand au moment de l'anniversaire de la fin de la Première guerre mondiale. Toutes les poignées de main sont maintenant très médiatisées. Il n'y a pas un chef d’État qui n'ait pas été pris en photo en train de serrer la main du président de la République sur le perron de l’Élysée. C'est devenu un rituel obligatoire."