De jeune fille rangée à autrice féministe : l'histoire exaltante de Simone de Beauvoir

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Stéphane Bern, édité par Alexis Patri , modifié à
À l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes lundi 8 mars, Stéphane Bern fait le récit de la vie de l'autrice du "Deuxième sexe", la célèbre féministe française Simone de Beauvoir, dans une émission d'"Historiquement vôtre" (16h-18h) consacrée à "ces femmes qui ont donné de la voix (et ouvert la voie)".

"On ne naît pas femme, on le devient". Cette simple phrase a bouleversé le regard que les hommes ont porté sur les femmes, mais aussi, et peut-être surtout, le regard que les femmes ont porté sur elles-mêmes. Elle est signée bien sûr de Simone de Beauvoir, considérée par beaucoup comme l'une des principales fondatrices du féminisme en France grâce à son livre Le deuxième sexe, véritable rempart contre l'obscurantisme. 34 ans après sa mort, c'est avec un certain plaisir que je vous invite à replonger dans l'histoire de Simone de Beauvoir.

Simone de Beauvoir, née en 1908 dans le très riche 7e arrondissement de Paris, n'a pas grandi dans un univers propice à l'épanouissement total des filles et des femmes. Elle appartient à la bourgeoisie parisienne : son père est avocat, son grand-père président de la Banque de la Meuse. Dans la famille, l'argent n’est pas un problème… jusqu'à la Première Guerre Mondiale. Le grand-père fait alors faillite. La famille doit déménager et renvoyer ses domestiques.

Une jeune fille rangée

Mais pour autant, l'éducation dispensée à Simone et à sa sœur cadette Hélène reste celle de jeunes filles de bonnes familles. Simone fait ses études au prestigieux mais très strict Cours Désir. Un établissement privé catholique qui accueille les jeunes filles de la haute bourgeoisie parisienne.

Si à 7 ans elle aime écrire de petites histoires calquées sur les livres qu'elle dévore, à 15 ans, elle en a acquis la certitude : elle veut devenir écrivain et être célèbre. Pour ses parents, c'est la douche froide. Ils l'avaient davantage imaginée contracter un beau mariage et tenir correctement son intérieur cossu de mère de famille. Simone est déterminée : elle entre à la Sorbonne. Son objectif est d'obtenir l'agrégation de philosophie. Elle s'y fait un proche ami, René Maheu, qui la surnomme Castor, en référence au mot anglais proche de Beauvoir, "beaver", qui signifie "castor".

C'est par son intermédiaire qu'elle fait la connaissance d'un jeune homme de trois ans son aîné, un certain Jean-Paul Sartre. "Il m'a fait l'effet d'un marchand de chaussures de Chicago à la veille de la faillite", dira-t-elle de lui. Mais quand ils apprennent à se connaître, Simone et Jean-Paul tombent éperdument amoureux. Il est subjugué par son esprit clair, vif et analytique. Elle est éblouie par son savoir et son intelligence. "Avec lui, je pourrais tout partager, je savais que plus jamais il ne sortirait de ma vie", écrit-elle à son sujet. Et ce fut le cas.

Les deux élèves sont reçus en 1929 à l'agrégation de philosophie : Jean-Paul Sartre arrive premier, Simone juste derrière. Certains diront que le jury ne lui a pas octroyé la première place uniquement parce qu'elle était une femme. Les années qui suivent, Simone de Beauvoir devient professeure. À Marseille, Rouen, Paris.. Elle aime son métier et elle aime Jean-Paul Sartre. Pourtant, alors que tout les lie, comme Olympe de Gouges en son temps, Simone refuse la demande en mariage de son prétendant. Selon elle, "le mariage multiplie par deux les obligations familiales et toutes les corvées sociales".

La longue marche vers le féminisme

Simone rejette en bloc les conventions et accepte même l'impensable pour l'époque. Elle conclut avec Sartre un pacte : ils s'autorisent des aventures avec d'autres personnes qu'ils appellent des amours contingents. Leur couple, inébranlable, reste leur amour nécessaire. Simone découvrirait alors la sexualité avec d'autres femmes : Olga, Bianca, certaines étant ses élèves. Elle niera pourtant ces liaisons toute sa vie.

Après la guerre, Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre donnent naissance à leur plus bel enfant : les Temps Modernes. Une revue politique, littéraire et philosophique dans laquelle ils parlent notamment de l'existentialisme. Ce courant part du principe que l'homme forme l'essence de sa vie par ses actions. Simone de Beauvoir qui, n'en déplaisent aux misogynes qui en ont fait la revue de Jean-Paul Sartre alors que c'est elle qui y consacre le plus de temps, applique à la lettre cette philosophie. Elle parcourt le globe et rencontre des dirigeants et des personnalités, notamment communistes. Mais un voyage transforme à tout jamais sa carrière. Et par la même occasion la vie de millions de femmes à travers le monde.

En 1947, elle rencontre Nelson Algren, un romancier américain. Il lui fait découvrir un univers qu'elle n'a jamais côtoyé, elle, la petite bourgeoise parisienne devenue professeure de philosophie. Il l'emmène dans les bas-fonds de Chicago, mais la confronte aussi à cette mentalité américaine un brin m'as-tu-vu, ostentatoire, presque déplacée dans cette période d'après-guerre. Alors que la France est encore exsangue du conflit, économiquement terrassée, l'Amérique, elle, est en pleine croissance. Et pour la première fois de sa vie, Simone de Beauvoir se laisse aller, rit, pleure, danse, aime. 

Elle confie même avoir eu son premier orgasme à 40 ans, avec Nelson. Il faut dire que Sartre était, d’après elle, un piètre amant. Simone de Beauvoir n'est pas née féministe, elle l'est devenue. C'est lors de ce voyage que l'idée d'écrire un livre sur la femme germe en elle. Nelson Algren lui parle du planning familial aux Etats-Unis, des médecins américains très en avance sur la contraception. Les scientifiques effectuent des recherches sur la pilule. La première sera mise en circulation en 1951.

Naissance du Deuxième sexe

Il se ruine dès qu’elle repart en France en achetant et en lui envoyant des livres écrits sur et par les féministes américaines. Pendant deux ans, Simone de Beauvoir réalise de précieuses recherches philosophiques, anthropologiques, sociales et anatomiques. Elle confiera être devenue féministe pendant l'écriture de ce livre. Car en 1949, elle publie ce qui deviendra un best-seller, Le deuxième sexe.

Dans cet ouvrage, elle aborde de manière directe, frontale, brutale pour certains, la sexualité féminine, les questions que les femmes se posent sur leur condition. Pour la première fois dans un livre grand public, des mots comme vagin, orgasme, clitoris sont imprimés. Un bréviaire féministe qui fascine autant qu'il révulse. En une semaine, Le deuxième sexe s’écoule à 22 000 exemplaires. Certaines femmes le commandent et se le font livrer chez des amies pour que leur mari ne le sache surtout pas.

Car de nombreux hommes sont choqués par ce livre. François Mauriac, horrifié, écrira "enfin je sais tout sur le vagin de votre patronne". Dès lors, Simone de Beauvoir n'a de cesse de défendre la cause féminine : contraception, droit à l'avortement, égalité des salaires, frais de congés de grossesse. Des attentes pour certaines obtenues, et pour d'autres encore aujourd'hui toujours au cœur des débats qui agitent notre société, alors que l'on célébrera les 34 ans de sa disparition le 14 avril prochain.