4:46
  • Copié
Thierry Geffrotin, édité par Anaïs Huet
À l'approche de la cérémonie des Molières, grand messe du théâtre en France, Europe 1 se penche sur ce qui fait le succès artistique et financier de certaines œuvres sur les planches.
ENQUÊTE

L'Académie des Molières a annoncé mardi les nommés pour la cérémonie qui aura lieu le 13 mai et qui récompense pièces de théâtres, artistes et metteurs en scène. Trois pièces tirent leur épingle du jeu : Le Canard à l'orange, un classique du boulevard, Kean d'Alexandre Dumas et La Dégustation avec Bernard Campan et Isabelle Carré. Alors, les noms connus suffisent-ils à faire venir le public ? Et comment se porte le théâtre privé parisien ?

Des stars à l'affiche, ce n'est pas une garantie

Le succès au théâtre est parfois un coup de poker. S'il fallait le comparer à une course de chevaux, on pourrait dire que les favoris ne sont pas toujours présents à l'arrivée. Et qu'il y a de grosses surprises. Deux pièces, pour lesquelles on ne prédisait pas forcément un immense succès, ont finalement triomphé. Citons tout d'abord Edmond, au Palais Royal. L'histoire de la création de Cyrano de Bergerac a à son actif plus de 760 représentations rien qu'à Paris, et plus de 1.000 au total en incluant la tournée en France. Cela fait deux ans et demi que la pièce attire les foules, et ce n'est pas fini. 

Citons également Dernier coup de ciseaux, une pièce loufoque à l'affiche du théâtre des Mathurins depuis huit ans. Plus de 800.000 spectateurs l'ont déjà vue. Les représentations prendront fin en mai prochain.

Dans ces deux pièces, aucune star n'est à l'affiche. C'est d'ailleurs la force du théâtre, même si le public et les patrons de théâtre peuvent être sensibles à des noms connus. Mais ça ne suffit pas : il faut que la pièce soit bonne. Dany Boon et Valérie Bonneton n'ont pas vraiment été servis par l'histoire de Huit euros de l'heure. Autre exemple : Le lien, avec Pierre Palmade et Catherine Hiegel, n'a été à l'affiche que deux mois.

250.000 euros pour monter une pièce

Monter une pièce est un défi à la fois artistique et économique. La saison d'un théâtre est scindée en deux : une première partie de septembre à décembre, et une seconde de janvier à juin. Quand une pièce lancée en septembre connait le succès, elle se poursuit en janvier. Mais il arrive régulièrement qu'une pièce programmée en septembre s'arrête en décembre. Il faut donc, au pire, qu'elle soit amortie entre quatre et six mois.

>> De 7h à 9h, c'est deux heures d'info avec Nikos Aliagas sur Europe 1. Retrouvez le replay ici

Bien que le sujet reste tabou, monter une pièce demande beaucoup d'argent. "Monter une pièce, même dans un petit théâtre, équivaut à l'achat d'un studio à Paris", évalue Bernard Murat, le président du syndicat des théâtres privés. Quand on sait que le prix du mètre carré à Paris est de 10.000 euros, et qu'un studio en fait environ 25, on peut en déduire que le coût d'une pièce de théâtre avoisine les 250.000 euros. "Et si vous le faites deux fois dans l'année, c'est quand même beaucoup d'argent. Et on n'est jamais sûr de le récupérer", complète Bernard Murat.

Diriger un théâtre, un métier de "fou"

Il est difficile de savoir si une pièce rapporte gros ou non, les directeurs de théâtre faisant montre de beaucoup de discrétion à ce sujet. On sait toutefois qu'il y a de plus en plus de spectateurs, mais que le prix des billets a baissé (le prix moyen est aujourd’hui de 28 euros). De plus, les théâtres n'ont plus de visibilité : le spectateur décide le matin d'aller voir une pièce le soir même, quand auparavant, on réservait longtemps à l'avance. L'apparition des sites de vente sur Internet accompagne ce changement de comportement. 

En clair, il faut être un peu fou pour diriger un théâtre privé aujourd'hui. Le comédien François-Xavier Demaison, qui a pris la tête du théâtre de L'Œuvre il y a trois ans pour assouvir "un rêve d'enfant", le reconnaît volontiers : "Il y a un vieil adage qui dit : 'comment devenir millionnaire en dirigeant un théâtre ? Il faut commencer milliardaire.'"