Universités et lycées : les blocages se multiplient

Au total, plus d'une quinzaine de campus sont perturbés en France mercredi.
Au total, plus d'une quinzaine de campus sont perturbés en France mercredi. © Montage AFP
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avec AFP
Entamé en novembre, le mouvement étudiant a bien progressé depuis. Mercredi, plus de quinze facultés étaient occupées pour protester, en premier lieu, contre la loi modifiant l'accès à l'université.

Les examens approchent, et la grogne ne faiblit pas. Bien au contraire. La fronde des étudiants contre la loi modifiant l'accès à l'université, née depuis plusieurs semaines sur les bancs des facs de Montpellier, Bordeaux ou encore Toulouse, a encore pris de l'ampleur mercredi, d'autres revendications se mêlant par ailleurs au mouvement. Les blocages ont ainsi conduit la faculté de Lettres de la Sorbonne (Paris 4) à fermer ses portes, quand celles de Lyon 2 laissaient apercevoir les poubelles renversées et les banderoles accrochées en signe de contestation. Au total, plus d'une quinzaine de campus sont perturbés à travers le pays.

Pourquoi les étudiants se mobilisent-ils ?

Dès le mois de novembre, seize organisations de jeunesse appellent à manifester contre le "Plan étudiant" présenté par le gouvernement. Les syndicats y voient une "sélection déguisée". Selon la loi ORE (Orientation et Réussite des Étudiants), les lycéens qui voudront entrer en licence devront en effet remplir certains "attendus". Pour accéder à la filière Histoire, ils devront par exemple avoir le bon niveau dans au moins une langue étrangère, la curiosité intellectuelle ou l'intérêt pour la démarche scientifique. Des critères locaux pourront aussi être décidés par les universités elles-mêmes. Après avoir été validé par toutes les instances législatives, le système est finalement publié au Journal officiel le 9 mars dernier. C'est cette officialisation qui déclenche véritablement la mobilisation des étudiants.

Les syndicats contestent également la réforme du baccalauréat, présentée officiellement en février. Parmi les annonces majeures : la mise en place du contrôle continu, à partir de 2021, à hauteur de 40% de la note finale. La mesure est décriée : elle accentuerait les inégalités entre les lycées.

Certains étudiants voient également dans les nombreuses grèves qui touchent le pays -  cheminots, agents hospitaliers, enseignants et autres salariés d'Air France – une occasion de faire entendre leurs revendications. Julien Delohen, porte-parole de l'Union nationale lycéenne, deuxième organisation lycéenne en termes de représentativité, glisse notamment sur Europe 1 : "On voit aussi, avec la SNCF, que c'est possible de lancer ce genre d'opérations. C'est quelque chose qui va se révéler sans doute efficace."

Les revendications se sont par ailleurs doublées dans certains campus de contestations contre les violences dans les facultés, après l’évacuation très musclée d’étudiants grévistes à la faculté de droit de Montpellier par des hommes cagoulés, dans la nuit du 22 au 23 mars. Depuis, le doyen de l'université ainsi qu'un professeur de droit ont été suspendus et mis en examen, mais les mobilisations n'ont pas faibli. La Coordination nationale de lutte (CNL) a notamment appelé à une journée de manifestation samedi 14 avril dans la ville.

À Toulouse, les étudiants se sont également mobilisés, dès le mois de décembre, contre le projet de rapprochement entre plusieurs établissements de la ville. Projet qui a depuis été abandonné.

Quels sont les établissements perturbés ?

Le ministère de l’Enseignement supérieur n’a pas encore communiqué de chiffres officiels sur les blocages. Mais plus de quinze facultés étaient fermées ou tout simplement perturbées mercredi.

  • Les établissements entièrement bloqués

Selon la Conférence des présidents d'université (CPU), qui soutient la réforme gouvernementale, seules deux universités étaient entièrement bloquées :

Université Paul Valéry (Montpellier 3). Le blocage de l'université Paul Valéry, dont le campus est situé dans le nord de Montpellier, a débuté mi-février, pour protester contre la nouvelle loi d'accès aux études universitaires. Le principe d'un "blocus illimité" a été voté mardi 27 mars par une assemblée générale ayant réuni des milliers d'étudiants, professeurs et personnels des deux universités de Montpellier, dans un contexte toujours marqué par les violences survenues dans la faculté de droit. Ici, les cours ont repris tant bien que mal mardi,  sous haute surveillance. En fin de matinée, quelque 500 étudiants, lycéens et militants, selon la préfecture, s'étaient à nouveau symboliquement rassemblés devant l'établissement, avant de défiler aux côtés des cheminots.

Université Jean-Jaurès de Toulouse. Les étudiants ont entamé le 6 mars le blocage complet de cette fac, avant de voter mardi en AG la poursuite du mouvement jusqu'à vendredi. La ministre de l’Enseignement supérieur a démis de ses fonctions le président de la faculté Daniel Lacroix, en le remplaçant par un administrateur provisoire. Mais la mobilisation remonte en réalité à décembre, contre un projet de fusion avec d'autres établissements de la ville.

  • Les autres établissements perturbés

Faculté de lettres - Université de Nantes. À Nantes, c'est un "blocus illimité" – interrompu depuis le 23 mars - qui a de nouveau été voté mardi par une partie de la faculté du Tertre-Censive (lettres et sciences humaines), qui accueille 38.000 étudiants. La présidence "a été prise pour cible" par "un groupe d'environ 200 personnes", qui "ont lancé des pierres sur les façades et vitres des bureaux", alors que des personnels se trouvaient à l'intérieur, selon la direction. Cette "volonté de s'en prendre physiquement aux personnes marque un tournant inadmissible", a-t-elle réagi.

Université Grenoble Alpes. Le bâtiment de la présidence de l'UGA a lui été occupé mardi jusque dans la nuit par des manifestants, et des dégradations et des vols ont été constatés, a indiqué son président Patrick Lévy. Le personnel a évacué les bureaux et plusieurs de ses membres ont dit avoir été "agressés verbalement" par les manifestants.

Université de Bordeaux – Campus Victoire. À Bordeaux, le campus de la Victoire est fermé et les cours transférés dans d'autres bâtiments. Un amphithéâtre est occupé depuis le 9 mars par une trentaine de personnes qui s'y relaient. Les occupants réfléchissent à une coordination avec d'autres mouvements de lutte : postiers de Gironde, ouvriers de Ford-Blanquefort, cheminots.

Tolbiac (Paris 1). La faculté parisienne de Tolbiac, occupée depuis le début de la semaine dernière, a voté mardi en assemblée générale le "blocage illimité", à 497 voix pour et 407 contre. Quelque 900 personnes s'étaient déclarées pour un blocage, mais pas forcément illimité, lors de cette AG qui a rassemblé un gros millier de personnes.

Saint-Denis (Paris 8). En région parisienne, est également bloqué depuis mardi le site Saint-Denis de Paris 8, "pour la première fois" depuis le début du mouvement, a indiqué l'université Vincennes-Saint-Denis. Les deux autres sites de Paris 8, à savoir l'IUT de Montreuil et Tremblay-en-France, "ne sont pas impactés".

La faculté de Lettres de Sorbonne-Université (Paris 4). Pourtant peu habitué aux mobilisations, l'établissement était fermé mercredi, "suite à des blocages d'étudiants", a indiqué la direction de l'établissement, précisant que pour le moment, il s'agissait de son seul site bloqué, les autres étant encore ouverts aux cours et travaux dirigés.

Nancy - Campus Lettres et Sciences Humaines. À Nancy, le campus de Lettres et Sciences humaines de l'université de Lorraine, que fréquentent 8.000 étudiants, est lui aussi bloqué depuis le 23 mars. Une nouvelle AG est organisée jeudi. Le président de l'université réfléchit à repousser les partiels prévus en mai et juin, "s'il n'y a pas de reprise (des cours) le 9 avril".

Université Lumière Lyon 2. Le "grand" amphithéâtre de l'université Lumière Lyon 2 est occupé depuis mardi soir par une cinquantaine d'étudiants, après une assemblée générale. L'université n'est pas bloquée et les cours se déroulent normalement, a cependant précisé la direction.

Université de Lille 2. Au lendemain de violences entre  identitaires et "antifas", le blocage du campus de Moulins a été voté mardi. Il devrait commencer jeudi à la faculté de droit et sciences politiques.

Université de Rouen. À Rouen, la faculté de sciences humaines est bloquée depuis mercredi par une centaine de jeunes, qui menacent de durcir le mouvement dans les prochains jours.

Faculté de sciences humaines et arts de Poitiers. Dans cette université, le blocage a également débuté mardi.

Faculté de lettres et sciences humaines de Limoges. Une AG a voté la fermeture mardi 3 avril, et les occupants ont mis en place une université populaire, alors que le blocage devrait durer jusqu'à vendredi.

Faculté de Sciences de Nice. Le campus de Valrose de l'université de Nice-Sophia Antipolis est lui aussi bloqué depuis plusieurs jours. Une AG était prévue ce mercredi pour décider d'une éventuelle reconduction.

Université François-Rabelais de Tours. Le blocage a ici été voté mardi, pour trois jours, sur le campus des Tanneurs, selon le Collectif étudiant contre la loi Vidal de Tours.

Comment réagit le gouvernement ?

Mercredi sur France 2, la ministre Frédérique Vidal a dénoncé "une campagne de désinformation" sur sa loi, tout en disant vouloir privilégier "le dialogue et l'écoute". "Il y a des amphithéâtres qui peuvent être bloqués, des assemblées générales qui se tiennent. Tant qu'on est sur le débat, la discussion argumentée, contre le projet de loi, c'est normal. On est à l'université et le débat doit avoir lieu", a-t-elle plaidé. Mais "quand il y a des violences", cela devient "inacceptable".

Alors que des étudiants réclament sur les réseaux sociaux et dans les AG l'attribution de la note de 10 sur 20 aux étudiants grévistes, la ministre a aussi indiqué que les examens auraient lieu "de la manière la plus sereine possible". "Les étudiants ne se rendant pas aux examens n'auront pas dix", a-t-elle tranché.

En conseil des ministres, Emmanuel Macron s'est également exprimé sur le conflit. Le président de la République a ainsi invité ses ministres "au calme et au discernement et à ne pas se laisser détourner de l'objectif" de la réforme sur l'accès à l'université, qui est de "donner les moyens de réussir à chaque étudiant".

Dans la même lignée, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a estimé mercredi sur LCI qu'il n'y avait "pas de crainte à avoir" d'une "agrégation" des luttes qui relève, selon lui, d'une "volonté de désordre". "Quel est le lien entre les universités, la SNCF, qu'est-ce que ça veut dire cette agrégation des luttes, si ce n'est une volonté de désordre ?", s'est-il encore interrogé.

Le mouvement peut-il perdurer ?

Malgré le calme apparent du gouvernement, le mouvement pourrait bien se durcir. Dans toutes les universités mobilisées, les étudiants disent vouloir tenir jusqu'au retrait de la loi qui, pour rappel, a déjà été votée. "Ils s'organisent pour se faire entendre et dire au gouvernement qu'il faut enfin prendre en compte leurs revendications. La mobilisation va prendre de l'ampleur dans les jours et semaines qui viennent", promet notamment la présidente de l'Union nationale des étudiants de France (Unef), Lila Lebas.

Mais les syndicats paraissent particulièrement divisés. La Fage, le premier d'entre eux, adhère à la réforme. "Nous sommes toujours en négociations sur le volet Parcoursup. Il y a encore beaucoup de réunions et moi, je constate que le Conseil national de l'enseignement et de la recherche (Cneser), qui est l'instance nationale de démocratie sociale dans l'enseignement en France, a voté favorablement pour la réforme et le projet de loi", souligne son président Jimmy Losfeld, sur Europe 1.

"Les personnes à l'origine de ces blocages ne cherchent pas de sortie de crise. On parle beaucoup de ces blocages, à juste titre parce qu'ils sont visibles, mais parfois, ils sont partiels, parfois il y a peu d'étudiants et je tiens à rappeler qu'on est en pleine période électorale à l'université. Et les organisations à l'origine de ces blocages ne sortent pas majoritaires des scrutins. La Fage continue de remporter les élections. Ça veut dire une chose : que les étudiants partagent plutôt notre point de vue. La réforme va dans le bon sens mais il faut des moyens supplémentaires", explique encore le syndicaliste.

 

En 1986, le gouvernement avait plié

En 1986, entre 200.000 et un million de personnes avaient manifesté contre un projet de loi visant à sélectionner les étudiants à l’entrée des universités. Porté à l'époque par le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Alain Devaquet, le texte avait été finalement retiré par le gouvernement, sous la pression de la rue. Mais cette fois, la loi est déjà en vigueur.