Sven Mary, l'avocat belge des "crapules" et de Salah Abdeslam

Sven Mary a renoncé à défendre Salah Abdeslam, muré dans le silence, avant de changer d'avis (photo d'archives).
Sven Mary a renoncé à défendre Salah Abdeslam, muré dans le silence, avant de changer d'avis (photo d'archives). © AFP
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PORTRAIT -  Ce pénaliste de renom, connu notamment pour avoir défendu des mafieux et un complice de Marc Dutroux, assiste à partir de lundi le dernier survivant des commandos du 13-Novembre.  

La presse française l'a découvert le 19 mars 2016, à la sortie du parquet fédéral belge. Crâne rasé, barbe naissante, jean et baskets, Sven Mary se trouve ce jour-là face à une nuée de caméras et de micros tendus. Il vient de devenir officiellement le défenseur de celui qui fut l'homme le plus recherché d'Europe : Salah Abdeslam, seul survivant des commandos du 13-Novembre, arrêté à Bruxelles après quelques mois de cavale. Ainsi la notoriété du pénaliste belge, déjà largement reconnu en son pays, franchit soudain toutes les frontières.

"Défendre les personnes qui me demandent de le faire". Près de deux ans plus tard, le conseil se trouvera à nouveau sous les feux des projecteurs lundi, à l'ouverture du premier procès de son client, jugé en Belgique pour sa participation présumée à la fusillade de Forest. Distincte de celles des attentats de Paris et de Bruxelles, la procédure est suivie de près par les victimes de ces tueries, dont certaines se sont constituées parties civiles. Une pression prise en considération par l'avocat, dès que le nom de Salah Abdeslam lui a été soumis par l'un de ses proches. "J'ai choisi mon métier et ma spécialité, j'assume", expliquait-il à l'époque. "Les attentats m'ont révulsé et j'ai des idées personnelles au sujet du djihadisme qu'on ne m'enlèvera pas de la tête. Mais mon mandat est de défendre les personnes qui me demandent de le faire."

La ligne de conduite n'étonnera pas les connaisseurs du personnage, l'un des rares à être aussi connu en Flandre néerlandophone que du côté francophone de la Belgique. "Moi, ce qui me motive, c'est de lutter contre l'arbitraire et l'abus de pouvoir. Et là, on est en plein dedans", affirmait-il déjà au quotidien Le Soir avant l'arrestation de Salah Abdeslam, à propos du volet belge de l'enquête sur les attaques de Paris, en partie fomentées depuis la Belgique. "Vous vous souvenez de ces conférences de presse données, en direct, par le parquet fédéral dans les jours, et même les nuits qui ont suivi les attentats de Paris ? Moi, elle m'a écoeurée, cette façon de surfer sur la peur pour obtenir encore plus de pouvoir."

Une carrière de footballeur avortée sur blessure. Pugnace, l'avocat ne cultive pourtant pas sa vocation depuis l'enfance. Fils de l'ancien patron de la radio-télé publique flamande, Tony Mary, Sven se destinait à une carrière de footballeur. Titulaire au sein de l'équipe de jeunes du prestigieux club d'Anderlecht, il se blesse et doit renoncer à son rêve. Ce sera le droit, non sans quelque difficulté. Recalé à deux reprises, le jeune homme finit par valider sa première année à l'université néerlandophone de Bruxelles. "J'aime le droit. Les règles de procédure sont capitales", déclarera-t-il plus tard. "Tout avocat, s'il a un peu de fierté, est par définition procédurier."

En Belgique, Sven Mary défend tout le monde, de la famille Aquino, l'une des plus importantes organisations d'importation et de distribution de drogue du pays, à Fouad Belkacem, dirigeant du groupe terroriste Sharia4Belgium, en passant par Michel Lelièvre, complice de Marc Dutroux. Mais celui que les médias ont surnommé "l'avocat des crapules" assiste également des parties civiles, comme une jeune femme vitriolée par un ex-amant en 2009, ou les victimes de l'explosion de gaz de Ghislenghien, qui a fait 24 morts en 2004. Ses limites ? "Il y a des causes que je n'aurais pas pu assumer, comme la défense des Nazis, mon grand-père ayant été déporté", confie-t-il à Libération en 2016. "Même chose pour les négationnistes, les racistes, les fascistes."

À plusieurs reprises, l'avocat controversé "gagne" ses procès pour des motifs de procédure non respectée. "Mary cherche le conflit avec le parquet, afin d'éviter de discuter du fond de l'affaire", déplore Brice de Ruyver, professeur de droit pénal à l'université de Gand, interrogé par la même source. "Il plaide dans la rue et utilise les journalistes."

Abdeslam, "un petit con de Molenbeek". Le dossier Abdeslam, de ceux qui "changent la vie", de l'aveu même de l'avocat, n'est-il alors qu'un échelon médiatique de plus dans sa carrière ? "Il ne me rapporte rien, si ce n'est des emmerdes", lâche Sven Mary au printemps 2016. "À plusieurs reprises, la police a dû escorter mes filles à l'école." L'avocat tient bon et met en place sa stratégie. "C'est un petit con de Molenbeek, issu de la petite criminalité, plutôt qu'un suiveur ou qu'un meneur. Il a l'intelligence d'un cendrier vide, il est d'une abyssale vacuité", déclare-t-il à propos de son client dans la presse. "Je lui ai demandé s'il avait lu le Coran, il m'a répondu qu'il avait lu son interprétation sur internet."

Les propos font un tollé, taxés de mépris. "C'est une façon spectaculaire de dire que Salah Abdeslam ne peut être le concepteur des attentats", se défendra l'avocat, avant de renoncer à défendre son client, muré dans le silence face aux enquêteurs… Et de changer d'avis un an plus tard, à l'approche du procès de la fusillade de Forest. "Dans ce dossier, je regrette d'avoir été naïf", a-t-il depuis déclaré à La Libre Belgique.  Une forme de mea culpa ? Reste à savoir quelle attitude le pénaliste adoptera face aux caméras, annoncées en nombre à Bruxelles, lundi.

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