"Martyre de l'A10" : plusieurs zones d'ombre restent à éclaircir

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Pierre de Cossette, édité par Anaïs Huet , modifié à
Plus de trente ans après la mort de la petite "martyre de l'A10", ses parents, retrouvés grâce à l'ADN, ont été mis en examen pour meurtre. Qui a fait quoi ? Qui savait quoi ? C'est à cela que le juge d'instruction va tenter de répondre.

Personne n'avait signalé sa disparition et les multiples appels à témoins, portraits-robots et vérifications des enquêteurs n'avaient jamais permis d'identifier une piste sérieuse. Mais ces derniers jours, l'enquête sur la mort de "la petite martyre de l'A10", ainsi surnommée par les médias, et qui dure depuis plus de trente ans, a brusquement rebondi. Les parents de la fillette, dont le corps avait été retrouvé le 11 août 1987 sur le bord d'une route du Loir-et-Cher, ont été mis en examen pour meurtre, recel de cadavre et violences volontaires habituelles sur mineur de moins de 15 ans, a révélé Europe 1 jeudi.

C'est finalement un prélèvement ADN réalisé après "une procédure délictuelle", sur un homme qui s'est avéré être son frère, qui a permis de relancer l'enquête. Jusqu'alors, les gendarmes ignoraient tout de l'enfant : son âge, son nom et les circonstances de sa mort. On sait désormais qu'elle s'appelait Inass, et qu'elle avait 4 ans. Mais plusieurs éléments manquent encore aux enquêteurs pour établir avec certitude les responsabilités des uns et des autres, et la chronologie du drame.

Quel rôle pour les parents ?

Ils se prénomment Ahmed et Halima T.. Ils avaient 35 et 33 ans à l'époque, 66 et 64 ans aujourd'hui. Tout deux sont d'origine marocaine, ont vécu dans le Val-de-Marne, puis les Hauts-de-Seine au début des années 80. Après la mort d'Inass, ils sont ensuite partis s'installer dans l'Aisne, où ils tenaient plusieurs commerces. Depuis le début des années 2000, le couple est séparé.

Les deux parents ont été mis en examen et écroués, jeudi. Mais face aux enquêteurs, Ahmed et Halima se rejettent mutuellement la responsabilité du meurtre. De son côté, le père raconte qu'Inass était morte un soir quand il est rentré, mais qu'il n'a rien osé faire. Prenant la posture du mari soumis et lâche, il affirme avoir accepté de se débarrasser du corps sur la route, alors que la famille se rendait au Maroc. Il dit "avoir vécu l'enfer" avec son épouse qu'il décrit comme violente.

La mère, elle, évoque des violences conjugales. Lors de son audition, elle a reconnu qu'elle pouvait "parfois être violente", tout en niant toute implication dans la mort de sa fille. Dans la commune de Villers-Cotterêts, dans l'Aisne, où elle vivait depuis trente ans, ses voisins la décrivent comme "énigmatique", "froide", "tout le temps triste", voire "louche"

À ce stade de l'enquête, il est certain que les parents ont dissimulé la disparition de la fillette. Pour cela, ils ont visiblement fait croire qu'elle était repartie au Maroc. Mais qui lui a porté les coups, et qui a orchestré sa disparition ? Les enquêteurs n'ont pas encore précisément ces réponses.

Que savaient les autres membres de la famille ?

Le couple a eu au total sept enfants, Inass était la troisième. L'enfant est née en juillet 1983 à Casablanca, au Maroc, où elle a vécu pendant 18 mois avec sa grand-mère maternelle. Elle a ensuite rejoint ses parents en région parisienne, à Puteaux, fin 1985.

La fillette avait deux grandes sœurs, nées en 1978 et 1981. L’aînée, qui avait neuf ans au moment des faits, a été entendue par les gendarmes. Aujourd'hui, elle explique ne se souvenir de rien. Pourtant, lors de son audition, quand les enquêteurs ont évoqué Inass, "elle a pleuré", nous indiquait jeudi le procureur de Blois. Les autres enfants sont nés en 1986, 1987, et 1991.

Il semble que le couple n'avait pas d'autre famille autour de lui, en France. 

Comment Inass a-t-elle pu disparaître des écrans radars ?

Lorsque le corps de la fillette est découvert, le 11 août 1987, sur cette portion de route du Loir-et-Cher, les enquêteurs emploient des moyens hors-norme pour tenter d'établir l'identité de la petite martyre. Un gendarme vérifie l'état civil des fillettes nées dans la région au début des années 80. Environ 20.000 fiches sont inspectées, mais rien de probant n'en ressort. Et pour cause : Inass avait bien été inscrite à la CAF, mais en Île-de-France, pas dans le Loir-et-Cher. 

À l'époque, l'informatique n'en est qu'à ses prémices, et l'interconnexion des fichiers n'existe pas. Dès lors, quand la petite fille a été désinscrite par ses parents, il n'y a eu aucune alerte. De la même manière, Inass "a été inscrite en maternelle mais jamais scolarisée", a précisé le procureur Frédéric Chevallier. D'où l'échec des vérifications dans 65.000 écoles maternelles.