Maître Leclerc se souvient de son plaidoyer pour Véronique Courjault : "Je ne crois pas aux monstres"

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Romain David , modifié à
Invité du "Tour de la question" sur Europe 1, l'avocat pénaliste Henri Leclerc évoque l'une des plaidoiries les plus importantes de sa carrière, celle pour Véronique Courjault, accusée en 2009 de trois infanticides.
LE TOUR DE LA QUESTION

Elle est bien souvent le temps fort d'un procès. La plaidoirie, qui arrive au terme de la procédure, est une séquence oratoire de haut vol, ou du moins à haut risque, puisque de son efficacité dépend souvent le destin d'une ou de plusieurs personnes. Dans Plaidoiries au Théâtre Antoine, Richard Berry redonne vie à quelques-unes des plus grandes défenses de ces dernières décennies, sur la base du livre de Matthieu Aron, Les grandes plaidoiries des ténors du barreau.

Parmi elles, celle de maître Henri Leclerc, avocat de Véronique Courjault en 2009, dans l'affaire dite des bébés congelés. Invité jeudi du Tour de la question sur Europe 1, le célèbre pénaliste se souvient de sa prise de parole, en partie improvisée.

"Il faut la condamner". "Tout le monde s'attendait à ce que je plaide l'acquittement. Et, dès le départ, je dis : 'non, je ne plaide pas l'acquittement, je pense qu'il faut la condamner'", explique l'avocat au micro de Wendy Bouchard. Dans cette affaire, une mère de famille est accusée d'avoir tué trois de ses nouveau-nés, et d'avoir conservé pendant plusieurs années les cadavres dans un congélateur, à l'insu du reste de sa famille. "On n'est pas là pour faire des exploits. Plaider l'acquittement de Véronique Courjault, c'était possible, certains de mes confrères l'auraient fait. Mais moi, j'ai pensé qu'il n'était pas possible de proposer ça aux jurés", se souvient Henri Leclerc.

"Si je veux établir une communication entre les jurés et moi, il faut que je dise ce que je pense, et je pense qu'il faut la condamner pour des raisons sociales, politiques, y compris pour des raisons humaines", poursuit-il. Une manière surtout de demander aux jurés de prononcer "quelque chose de raisonnable, une peine susceptible d'être compréhensible."

>> De 9h à 11h, on fait le tour de la question avec Wendy Bouchard. Retrouvez le replay de l'émission ici

L'horreur du crime. Surtout, l'orateur - qui va plaider pendant une heure sans note -, choisit d'évoquer sans ambages le triple infanticide. "Depuis dix-huit mois, je vis avec l’image de ces bébés parce que ce sont les nôtres. […] Parce que ces bébés, ce sont les vôtres, Véronique, mais ce sont les nôtres aussi !", déclare-t-il devant la cour, avant de se risquer à décrire l'accouchement de l'accusée dans sa baignoire. "Nous parlions depuis plusieurs jours de problème de psychiatrie, de psychologie, d'obstétrique, de gynécologie, etc. Et, brusquement, pendant que je plaidais, une idée m'a traversé l'esprit. Au fond, qu'est-ce qui nous bouleverse dans cette affaire ? Ce sont les bébés, cette idée de voir des nourrissons tués au moment même où ils naissent", se souvient Henri Leclerc.

"Je ne crois pas aux monstres".  L'effroi qu'il espère susciter avec l'évocation de cette scène lui permet du même coup de mettre l'accent sur l'état de détresse de la mère. "Je pense au moment de souffrance physique et psychique épouvantable de cette mère qui accouche, toute seule, sans sage-femme, sans médecin, sans matrone, sans personne", poursuit alors le plaideur.

Son objectif est de ramener l'accusée, qui fait figure de monstre aux yeux de l'opinion, dans la communauté des hommes. "Je ne crois pas aux monstres, je crois à des gens qui ont commis des actes effroyables", souffle Henri Leclerc neuf ans plus tard. "À partir du moment où ce serait des monstres, ils ne seraient plus jugeables". Le 18 juin 2009, Véronique Courjault a été condamnée à huit ans de prison pour son triple infanticide, une peine considérée comme indulgente au regard du crime. Elle a bénéficié d'une mesure de liberté conditionnelle un an plus tard.