Béatrice Huret, cette ex-sympathisante FN jugée pour avoir aidé un migrant par amour

Béatrice Huret 1280 PHILIPPE HUGUEN / AFP
Avant d'entrer au tribunal, Béatrice Huret converse avec Mokhtar, son compagnon parti rejoindre l'Angleterre grâce à son aide. © PHILIPPE HUGUEN / AFP
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Anaïs Huet, avec Lionel Gougelot , modifié à
Cette ancienne sympathisante du Front national est tombée amoureuse d'un migrant iranien dans la Jungle de Calais, et l'a aidé à passer illégalement en Angleterre.

EDIT : Le ministère public a requis mardi au tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer un an de prison avec sursis à l'encontre de Béatrice Huret. "La solidarité est louable mais pas à n'importe quel prix et dans n'importe quelle condition", a estimé la procureure de Boulogne Camille Gourlin, notant que la prévenue n'avait touché "aucune rémunération" lors de l'organisation de cette traversée en juin 2016.

"Oui, j'ai fait quelque chose de répréhensible. J'ai acheté un bateau, j'ai accompagné trois réfugiés jusqu'à la plage, ils sont partis en Angleterre". Béatrice Huret ne cherche pas à se défiler face aux faits qui lui sont reprochés. Mardi, cette femme de 45 ans est jugée au tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer pour avoir notamment aidé Mokhtar, un réfugié iranien dans la Jungle de Calais, à traverser la Manche.

Un migrant pris en autostop. Cet homme d'aujourd'hui 37 ans, Béatrice Huret en est tombée éperdument amoureuse au début de l'année 2016. Rien ne la destinait pourtant à épouser la cause des migrants. Veuve depuis 2010 d'un mari travaillant à la police aux frontières (PAF), cette mère de famille était aussi une sympathisante du Front national. Il a fallu qu'en février 2015, son chemin croise celui d'un jeune migrant soudanais, pris en autostop - chose qu'elle ne faisait pourtant jamais - pour qu'elle découvre la terrible réalité de la "Jungle", qui n'en était à l'époque qu'à ses prémices. Le choc est total pour la quadragénaire. Ses certitudes s'effondrent. Elle devient alors bénévole dans le camp, et s'y rend aussi régulièrement que possible.

Le coup de foudre. Un an plus tard, en mars 2016, alors que les conditions de vie dans la "Jungle" de Calais se sont dégradées, un groupe de neuf Iraniens entreprend une grève de la faim. Ils réclament entre autres "l'arrêt de la démolition de la jungle", "la sécurité", et "un représentant des Nations unies" pour parler avec eux. Pour éveiller les consciences, le groupe de réfugiés décide de se coudre symboliquement la bouche. Béatrice Huret est bouleversée par la force de leur action, et le désespoir qu'elle suppose. Dans le même temps, elle ne peut réprimer un coup de foudre pour l'un des leaders du mouvement, Mokhtar, un professeur de persan.

Ses sentiments, Béatrice Huret va les garder pour elle pendant plus d’un an. Sa vie amoureuse n'avait jusqu'alors été marquée que par sa relation avec ce policier aux frontières, rencontré en boîte de nuit alors qu’elle n'avait que 20 ans, et lui 37. Après la mort de son époux, Béatrice Huret ne pensait jamais refaire sa vie. Mais le destin, une fois de plus, va venir sonner à sa porte. Une connaissance de la "Jungle" lui propose d’accueillir deux Iraniens à son domicile. Parmi eux, il y a Mokhtar. Réciprocité des sentiments amoureux, et début d'une relation aussi passionnée qu'impensable, quelques mois plus tôt.

Partir en Angleterre, coûte que coûte. Mais le professeur iranien ne peut se résoudre à abandonner son objectif premier : rejoindre l'Angleterre, comme en rêvent tant d'autres migrants comme lui. L'eldorado, symbole d’une vie meilleure, apaisée, après tant d'épreuves. À Calais, il tente plusieurs fois de monter dans un camion, sans succès. Le couple prend alors la décision d'acquérir un bateau sur le site Le Bon Coin. Mokthar veut traverser la Manche avec deux compatriotes. L'équipée choisit la date du 11 juin 2016, en pleine nuit, pour mettre les voiles. C'est Béatrice qui tracte l'embarcation avec sa voiture, avant de leur dire au revoir. En mer, l'embarcation menace de se retourner, et les trois Iraniens sont secourus in extremis par les garde-côtes anglais. L'information est relayée par les médias britanniques. C'est comme cela que Béatrice Huret apprend que son compagnon est sain et sauf.

"Ne pas être mise dans le même sac" que les passeurs. Dès lors, elle le rejoint un week-end sur deux à Sheffield, une ville du nord de l'Angleterre, où Mokhtar réside désormais et a obtenu un permis de travail. L'idylle se déroule parfaitement, jusqu'au 11 août 2016. Ce jour-là, des policiers interpellent Béatrice sur son lieu de travail, et la placent en garde à vue pour "aide au passage illégal en bande organisée". Une accusation que rejette avec force la mère de famille, qui place l'amour comme seul moteur de sa démarche illégale. "Je ne veux vraiment pas être mise dans le même sac que tous ces gens qui prennent de l’argent à des réfugiés qui ont déjà énormément dépensé pour arriver jusque Calais. Tous ces réseaux de passeurs profitent de la misère humaine. Être mise dans le même sac que des gens aussi sales, c'est ce qui me révolte le plus", confie-t-elle au micro d'Europe 1.

Béatrice Huret, qui a raconté son histoire dans le livre Calais mon amour (édition Kero), risque en théorie dix ans de prison. Mais elle espère que la justice comprendra sa démarche. Mardi matin, devant le président du tribunal, elle a juré : "Si c'était à refaire, je le referais".