"Jungle" de Calais : où en est le démantèlement de la zone sud ?

Des migrants se tiennent sur le toit de leurs abris alors que le démantèlement de la partie sud du camp se poursuit, le 1er mars.
Des migrants se tiennent sur le toit de leurs abris alors que le démantèlement de la partie sud du camp se poursuit, le 1er mars. © PHILIPPE HUGUEN / AFP
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Marianne Skorpis avec agences , modifié à
Le démantèlement de la zone sud de la "jungle" de Calais se poursuit mardi, sur fond de tensions avec les migrants et avec les associations qui les soutiennent.

La préfecture du Pas-de-Calais a repris mardi matin le démantèlement de la partie sud de la "jungle" de Calais, entamée la veille. Une vingtaine d’employés de l'entreprise Sogéa, mandatée par l’Etat, a commencé à démonter les fragiles abris construits à partir de planches, de morceaux de bois et de bâches en plastique, sous l’œil vigilant des CRS. 

Europe1.fr fait le point sur l'avancée du démantèlement :  

Les infos à retenir

  • L'évacuation de la zone sud de la "jungle" se poursuit mardi. Lundi, trois activistes du mouvement libertaire No Border et un migrant ont été interpellés après des heurts.
  • L'Etat veut évacuer la zone car il estime que les migrants y vivent dans des conditions "indignes".
  • Les associations critiquent la précipitation de la décision de l'Etat et estiment les alternatives proposées aux exilés expulsés insuffisantes.

>> Où en est-on mardi ?

Cette journée s'est déroulée plus paisiblement que la veille, même si deux réfugiés "perchés sur leur cabane" d'après le sous-préfet de Calais Vincent Berton, ont menacés les forces de l'ordre avec un couteau. Ils ont été interpellés. Les équipes de maraude, chargées par la préfecture de convaincre les réfugiés de quitter leurs abris pour qu'ils soient détruits, n'était pas sans à-coups. Certains migrants refusent notamment les deux alternatives proposées, à savoir une place dans le Centre d'accueil provisoire (CAP) de Calais ou dans un centre d'accueil et d'orientation (CAO). Des attroupements se forment alors, l'avancée est stoppée, et "pour le moment on les laisse sur place", expose le sous-préfet.

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Le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve a dénoncé mardi dans un communiqué "l'activisme d'une poignée de militants No border" pour empêcher le démantèlement de la zone sud de la "jungle" de Calais, opération qui "va se poursuivre" avec "calme et méthode". "L'activisme d'une poignée de militants No border extrémistes et violents n'y changera rien" et "cette opération va se poursuivre dans les jours qui viennent avec calme et méthode, en offrant une place à chacun, comme le gouvernement s'y est engagé", affirme le ministère.

>> Que s'est-il passé lundi ?

Le démantèlement de la zone sud de la "jungle" se fait morceau par morceau. Lundi, les ouvriers de Sogéa ont démonté la cinquantaine de cabanes d'un premier périmètre. La journée, commencée dans le calme, a été marquée par des heurts entre les CRS d’un côté, et certains migrants et militants du mouvement No Border de l’autre. Réfugiés et activistes ont incendié une petite partie du périmètre - une vingtaine d’abris - avant de lancer des projectiles sur les forces de l’ordre. Ces dernières ont répliqué à l’aide de gaz lacrymogène et les pompiers sont intervenus pour calmer l’incendie.

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Trois membres des No Border et un migrant mineur ont été interpellés et cinq CRS ont été légèrement blessés, selon la préfecture, qui estime que 150 militants se trouvaient sur place. La garde à vue de deux des militants a été prolongée mardi, tandis que le troisième a été relâché. "Concernant les deux autres interpellations, les gardes à vue se poursuivaient mardi. On leur reproche des dégradations par incendie", a expliqué le procureur de la République de Boulogne-sur-Mer, Jean-Pierre Valensi, précisant qu'il s'agissait d'une Allemande et d'un Anglais. 

Dans la soirée, quelque 150 migrants se sont introduits pendant une heure sur la rocade portuaire par où passent les véhicules en partance pour l’Angleterre. Ils ont projeté des pierres sur plusieurs voitures et camions, avant d’être chassés par la police. Les autorités ont dénombré deux CRS blessés, quatre contusionnés et trois véhicules administratifs endommagés. En fin de journée, 5.000 mètres carrés de la zone avaient été évacués et 43 départs de migrants vers des centres d'accueil, dans l'Hérault et en Gironde, avaient été constatés.

>> Pourquoi la préfecture veut-elle démanteler la zone sud de la "jungle" ?

Fabienne Buccio, la préfète du Pas-de-Calais, a annoncé le 12 février le démantèlement de la partie sud du bidonville. "Le temps est venu de passer à une autre étape", "plus personne ne doit vivre sur la partie sud du camp (...), tout le monde doit quitter cette partie-là", avait-elle notamment déclaré. L'"arrêté d’expulsion d’office" de la préfecture avait fixé le 23 février à 20 heures comme date limite de départ des migrants.

Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, affirme que "personne ne peut soutenir que ces conditions indignes (dans lesquelles vivent les réfugiés dans la "jungle", ndlr) sont préférables à celles qui sont proposées aux migrants dans le centre d’accueil provisoire que l’Etat a construit". Une bataille de chiffres fait également rage entre la place Beauvau et les opposants à cette décision : la première estime qu'entre 800 et 1.000 exilés vivent dans la zone sud de la "jungle", tandis que les seconds affirment qu’ils sont 3.450.

L’échéance du 23 février a été repoussée par le dépôt d’un référé au tribunal administratif de Lille. Plusieurs associations, ainsi que des migrants, avaient décidé de recourir à cette mesure juridique d’urgence. Ce projet ne s’accompagne pas, d’après elles, "de véritables solutions alternatives". Les signataires de ce texte, dont Emmaüs, Médecins du monde et le Secours catholique, jugent que cette opération "ne fera qu'ajouter des tensions aux tensions, et fragiliser encore un peu plus les quelques milliers d'exilés que la France et la Grande-Bretagne se montrent incapables d'accueillir convenablement". Le tribunal administratif de Lille a rejeté leur recours et ils se sont pourvus vendredi devant le conseil d'Etat.

>> Quelles solutions l’Etat propose-t-il aux migrants de la zone sud ?

L’Etat offre deux possibilités aux réfugiés en cours d’expulsion à Calais. Bernard Cazeneuve insiste notamment sur le Centre d’accueil provisoire que l’Etat a ouvert en janvier à Calais. Il est composé de 125 conteneurs identiques, tous chauffés, et chacun équipé de douze lits. Ces boîtes blanches sont prévues pour accueillir 1.500 personnes. Il y reste actuellement environ 300 places, selon la préfecture. Les signataires d’une tribune par Le Monde et Mediapartpointent le côté impersonnel de ces conteneurs, où "toute intimité (est) impossible".

Les migrants de la zone sud de la "jungle" se voient également proposer de rejoindre les centres d’accueil et d’orientation (CAO), répartis un peu partout dans l’Hexagone. Ils sont conçus comme "un temps de répit au cours duquel ils pourront bénéficier d’un accompagnement et reconsidérer leur projet de migration vers le Royaume-Uni". Les exilés qui le désirent y sont notamment aidés à déposer une demande d’asile en France. 

Les associations et les ONG craignent que certains migrants expulsés n’acceptent aucune de ces deux solutions et ne recréent ou ne rejoignent d’autres "jungles", notamment le camp de Grande-Synthe, situé à une quarantaine de kilomètres de là. Les migrants qui veulent passer en Angleterre restent soucieux de ne pas de communiquer leur identité et de ne pas donner leurs empreintes digitales aux autorités françaises.