Hommage aux Invalides : "Le Soldat inconnu a incarné, beaucoup plus que les maréchaux, cette Première Guerre"

L'hommage aux Maréchaux sera rendu samedi aux Invalides.
L'hommage aux Maréchaux sera rendu samedi aux Invalides. © LUDOVIC MARIN / AFP
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L’hommage aux maréchaux de la Grande Guerre, prévu samedi aux Invalides, a provoqué une vive polémique sur le cas du maréchal Pétain. Europe 1 revient sur l’origine de cette cérémonie avec l’historien André Loez.
INTERVIEW

Les propos d’Emmanuel Macron sur le maréchal Pétain ont mis en pleine lumière une cérémonie qui avait vocation à rester dans l’ombre. Après plusieurs jours de polémique, un hommage aux maréchaux de la Première Guerre mondiale sera bel et bien rendu samedi, aux Invalides. Cette cérémonie, qui a forcé l’exécutif a rétropédalé, exclura finalement le maréchal Pétain.

"Les maréchaux dont l'honneur n'a pas été entaché, ceux-là, et ceux-là seuls, recevront l'hommage de la République", a écrit mercredi soir le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux, sur sa page Facebook. Un hommage, samedi aux Invalides, sera donc rendu à sept des huit maréchaux de la Grande Guerre : Foch, Joffre, Lyautey, Franchet d'Espèrey, Fayolle, Maunoury et Gallieni. André Loez, historien spécialiste de la Première Guerre mondiale et membre du comité scientifique de la mission du Centenaire de la Grande Guerre, revient pour Europe 1 sur les origines de cette cérémonie.

  • Europe 1 : Pourquoi un hommage est-il rendu aux maréchaux de la Grande Guerre ?

André Loez : "C’est un hommage traditionnel, rendu par les militaires presque chaque année aux Invalides. C’est une cérémonie interne à l’armée, qui n’a en général pas de visibilité et qui en a une cette année avec les propos polémiques du chef de l’État sur Pétain. 

Ceci dit, cet hommage, avec une visibilité plus grande, a été voulu par des dirigeants de l’armée. Ils se sentent exclus des cérémonies du Centenaire et, plus largement, ne s’estiment pas très bien traités par le président Macron, notamment depuis le renvoi du général De Villiers (l'ancien chef d'État-major avait démissionné l'an dernier après avoir été recadré publiquement par le chef de l'État, ndlr).

Les commémorations n’ont pas été centrées sur les figures militaires ni sur la notion de victoire. L’orientation a été de dire que nous ne sommes plus en 1918 et que la Première Guerre a été une guerre globale. L’armée française en tant que telle n’a pas été célébrée."

  • Europe 1 : Le rôle de ces maréchaux a-t-il été essentiel ?

"Leur rôle a été important dans la mesure où ils ont été de hauts dirigeants militaires. Durant l’entre-deux guerre, les maréchaux étaient des figures très importantes, qui ont eu droit à des obsèques considérables. Certains ont cependant pris des décisions funestes, comme le maréchal Joffre, qui a fait mener des offensives sanglantes et a ordonné une répression très brutale des soldats qui désobéissaient. Tous ces noms ne sont pas toujours associés à des choses positives dans la mémoire collective.

Mais plus largement, la mémoire de la Grande Guerre ne se construit plus, depuis longtemps, autour de ces figures de chefs héroïques. Même dans les années 20, les anciens combattants considéraient que la guerre n’appartenait pas à l’armée et à ces militaires hauts gradés. Le Soldat inconnu, sous l'Arc de Triomphe, a incarné, beaucoup plus que les maréchaux, cette Première Guerre.

Il fallait rendre hommage au sacrifice des gens ordinaires, d’anonymes qui sont morts par centaines de milliers. L’historiographie a montré que cette guerre était mondiale, qu’elle a impliqué les colonies, et les hommes et les femmes. Revenir à la figure du chef militaire est un peu anachronique dans la mémoire collective."

  • Europe 1 : N’était-il pas compliqué d’exclure Pétain de cet hommage ?

"Non. Quand on fait de l’Histoire, on parle de Pétain et on dit qu’il a eu un rôle durant la Grande Guerre. Mais quand on fait de la mémoire, on manipule des symboles. Il faut être beaucoup plus prudent. Emmanuel Macron a eu l’illusion de croire qu’il pouvait faire un cours d’Histoire. La parole présidentielle engage la politique de mémoire de la Nation et manipule des symboles très lourds. Pétain est associé de manière irrémédiable aux crimes de Vichy. Il est irrecevable de lui rendre hommage, d’autant qu’il a été condamné en 1945 (il a été condamné à la peine de mort, commuée en emprisonnement à perpétuité par le général de Gaulle, et frappé d’indignité nationale, ndlr). Théoriquement, aucun hommage ne saurait lui être rendu.

Il y a eu, à tous les niveaux, une sous-estimation de ce que cela pouvait provoquer. Cette polémique était prévisible et évitable. Cela gâche un peu les commémorations."