Et si une majorité écrasante n'était pas (qu')une bonne nouvelle pour Macron ?

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Une écrasante majorité à l'Assemblée donnerait à Emmanuel Macron les coudées franches... et un peu de fil à retordre. © JOEL SAGET / AFP
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Les sondages et les projections semblent donner à La République en marche! une très large majorité à l'Assemblée. Une bonne nouvelle sur le papier, mais qui n'est pas exempte d'effets pervers.

Quel président n'en a pas rêvé ? Disposer d'une majorité si large à l'Assemblée que le gouvernement a les coudées franches pour faire passer réformes sur réformes. C'est ce qui semble se profiler pour Emmanuel Macron. Un coup d'œil aux instituts de sondages a de quoi donner le vertige : la République en marche! est crédité d'environ 30% des voix au premier tour, et pourrait au final remporter entre 350 et 415 sièges, quand la majorité absolue est de 289. Les résultats de premier tour dans les circonscriptions des Français de l'étranger, où les candidats LREM sont arrivés en tête dans dix territoires sur onze, viennent confirmer cette dynamique.

Emmanuel Macron, de son côté, table sur 400 députés. Beaucoup, et même "presque trop", a-t-il glissé à ses conseillers, selon Le Canard Enchaîné. "Il va falloir les encadrer de près pour éviter le foutoir."

Le nombre ne garantit pas la loyauté. Car avoir une majorité écrasante à l'Assemblée nationale n'est pas forcément une excellente nouvelle. D'abord, le nombre ne garantit pas la loyauté, bien au contraire. "Plus une majorité est étroite, plus elle est astreinte à la discipline par la force des choses, puisque chaque voix compte", explique Julie Benetti, professeure de droit public à l'Université Paris 1. Certains ravalent doutes et objections pour ne pas risquer de faire capoter une loi. "À l'inverse, plus une majorité est large, plus les membres de cette majorité peuvent considérer que leur fidélité n'a pas besoin d'être absolue. Parce que précisément, le sort du gouvernement et de ses textes ne dépendra pas de leur défection."

" Plus une majorité est large, plus les membres de cette majorité peuvent considérer que leur fidélité n'a pas besoin d'être absolue. "

Plus on est d'élus, moins on est d'accord. Sans compter que plus on est nombreux, plus la probabilité de mettre tout le monde d'accord s'amenuise. "Le risque, c'est qu'avec un nombre aussi grand de députés LREM, des courants se forment au sein du groupe parlementaire", analyse Eddy Fougier, politologue et chercheur associé à l'IRIS. "On pourrait imaginer un courant plus à gauche, un autre plus à droite, un autre plutôt au centre." Avoir la majorité à l'Assemblée nationale n'a pas empêché François Hollande de se retrouver avec des frondeurs et, parfois, la plus grande difficulté à voter ses projets de loi. L'utilisation du 49.3 sur la loi Macron, et surtout la loi El Khomri, l'ont prouvé par deux fois.

"Députés godillots" ou émancipés ? Néanmoins, pour les spécialistes, ce risque de se retrouver avec une majorité divisée n'est pas le plus important. "Il est très difficile d'anticiper comment se comportera la future majorité, si elle devait être composée, pour une large part, de députés dont ce sera le premier mandat électif et qui auront été élus sur le seul nom d'Emmanuel Macron", note Julie Benetti. "Soit leur inexpérience les incitera à se placer dans la dépendance de leurs responsables de groupe. Soit ils peuvent aussi prendre au pied de la lettre l'exigence de renouvellement portée par Emmanuel Macron et s'émanciper au gré des textes de certaines consignes." Mais pour la professeure de droit public, c'est bien la première option qui est la "plus probable".

Eddy Fougier ne dit pas autre chose. "On semble se diriger vers une Assemblée composée de beaucoup d'élus novices qui doivent tout au président, car ils n'auraient eu aucune chance d'être élus sans lui, compte tenu de leur manque d'expérience et leur déficit de notoriété. On peut craindre des députés godillots." Ce qui serait, de facto, une bonne nouvelle pour l'exécutif. "Un gouvernement redoute davantage un parlementaire qui a l'expérience du travail en commission et en séance publique, qui s'implique réellement et pleinement, qu'un parlementaire qui, faute d'expérience, va s'en remettre aux consignes de son groupe et au travail des administrateurs", note Julie Benetti.

"Si le débat n'a pas lieu à l'Assemblée, il aura lieu dans la rue." Mais même avec une Assemblée aux ordres, tout ne sera pas rose pour le président. C'est ce qu'a expliqué Nathalie Kosciusko-Morizet, candidate Les Républicains aux législatives à Paris, sur LCP. "L'Assemblée nationale, cela doit être un lieu de débat. Il faut que ce soit un lieu de diversité. Si le débat n'a pas lieu un minimum à l'intérieur de l'Assemblée, il aura lieu dans la rue", a-t-elle prédit.

"Il peut y avoir un décalage entre une forte majorité potentielle qui va voter un texte facilement, et l'opinion", abonde Eddy Fougier, qui prend l'exemple de la nouvelle réforme du code du Travail promise par Emmanuel Macron. "Si 400 députés votent allègrement cette fois, c'est du côté des forces de la société civile qu'on va pouvoir voir une opposition en tant que telle. Les syndicats et la rue s'en chargeront." Et ce, d'autant plus facilement qu'ils ont pu s'entraîner pendant le quinquennat de François Hollande et que le sujet est devenu très sensible.

" Si le débat n'a pas lieu un minimum à l'intérieur de l'Assemblée, il aura lieu dans la rue. "

Une situation habituelle sous la Ve. Difficile, néanmoins, de lier directement une sous-représentation de l'opposition au Parlement et une intensification de la contestation dans la rue. Certes, les grandes manifestations de 1997 se sont déroulées alors que la droite était ultra-majoritaire à l'Assemblée depuis qu'en 1993, l'Union pour la France de Jacques Chirac avait remporté 472 sièges. Mais concomitance ne signifie pas causalité. Et cette situation n'a, en soi, rien de nouveau. "En 2012, François Hollande avait la majorité à l'Assemblée, mais aussi au Sénat", rappelle Eddy Fougier. "On ne se posait pas nécessairement la question de savoir s'il y avait ou pas suffisamment d'opposition. C'est l'effet classique des législatives sous la Ve République : le scrutin favorise souvent le parti du président, et dans tous les cas les grands partis, gardant une dimension assez injuste et inégalitaire."

Une opposition qui garde des prérogatives. Cela ne signifie pas pour autant que l'opposition sera muselée, avertit Julie Benetti. "Certes, une opposition réduite ne légifèrera pas, ou de façon marginale. Mais c'est vrai de toute opposition, cela ne dépend pas de son amplitude", explique la professeure de droit public. "En revanche, ses capacités de contrôle et d'évaluation de l'action gouvernementale resteront entières. L'opposition dispose de prérogatives en propre, indépendamment de son nombre, comme la possibilité d'obtenir la création d'une commission d'enquête sur le sujet de son choix par exemple."