Après le trauma du 49-3, les socialistes en voie de recomposition

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Margaux Baralon
Les loyalistes appellent à la condamnation des frondeurs, les frondeurs refusent de quitter le PS, et les aubrystes sont prêts à arbitrer le match.

Recoller les morceaux. C'est ce qui attend un Parti socialiste plus divisé que jamais, à un an de l'élection présidentielle. L'utilisation du 49-3 par le gouvernement pour faire passer la loi Travail, puis la signature, par 25 députés encartés, d'une motion de censure, ont fracturé le parti. Alors que certains, parmi les "loyalistes", appellent à sanctionner les frondeurs, ces derniers ne sont pas décidés à partir. Au milieu de cette guerre fratricide, les proches de Martine Aubry comptent jouer les casques bleus.

Sanctions contre les frondeurs. Vendredi, l'ambiance était encore électrique entre les frondeurs et députés qui soutenaient le gouvernement sur le projet de loi Travail. Les premiers sont menacés de sanction, après que Jean-Christophe Cambadélis a saisi, jeudi soir, la Haute Autorité éthique du parti. Celle-ci devra statuer sur le cas des signataires de la motion de censure. Pour les députés loyalistes et Manuel Valls, une "clarification" est indispensable. Autrement dit, pas question de laisser les frondeurs s'en sortir comme ça.

"Cela fait longtemps qu'un certain nombre d'entre nous réfléchissent à un Podemos à la française", a lancé le député du Val d'Oise Philippe Doucet, sur LCP vendredi. "Ils en ont le droit, mais qu'ils le fassent. Je préfère qu'ils fassent de la politique plutôt que l'on fasse de la discipline." Sur Twitter, Laurent Grandguillaume, député de Côte d'Or, a appelé le président du groupe socialiste à l'Assemblée, Bruno Le Roux, à prendre "des décisions pour la clarification".

Exclusion improbable. Il est pourtant peu probable que le PS penche pour une exclusion. Officiellement, cette clémence est motivée par deux choses. D'abord, le fait que la motion de censure ait échoué. "Dans le droit, on ne juge pas de la même façon l'intention et l'action", rappelle ainsi Jean-Christophe Cambadélis dans les colonnes de Libération. Ensuite, les responsables socialistes et l'exécutif, qui ont dit et répété, ces derniers jours, que les frondeurs n'étaient qu'une minorité bruyante au sein d'une majorité plus conciliante, refusent de braquer encore les projecteurs sur ceux qui attirent déjà, selon, bien trop la lumière. "Ils voudraient que le débat ne tourne qu'autour d'eux", a regretté Bruno Le Roux sur RFI vendredi. "Parler de sanctions, c'est remettre un peu d'argent dans la machine, moi je ne suis pas partisan de ce jeu-là."

En réalité, si le PS rechigne à exclure les frondeurs signataires, c'est que le départ d'une vingtaine d'élus porterait un coup supplémentaire à une majorité très affaiblie, avec le risque de voir émerger un nouveau mouvement à la gauche du PS. Pas très stratégique, à moins d'un an de l'élection présidentielle. Sans compter que d'autres dissensions existent au sein de la majorité, sur fond de rivalité entre Manuel Valls et Emmanuel Macron.

Démission impossible. Du côté des frondeurs, une démission est également difficilement envisageable. D'une part, cela signifie renoncer à l'investiture socialiste pour les législatives de l'année prochaine. D'autre part, ce serait abandonner le navire. Impensable pour des frondeurs persuadés d'être les garants des valeurs du PS. "Le Parti socialiste, ce n'est pas le parti qui appartient personnellement à François Hollande ou à Manuel Valls", a déclaré le frondeur Laurent Baumel mercredi. "Moi, quand je défends les positions qui sont les miennes sur la question de la réforme du travail, j'ai l'impression de défendre plutôt les positions naturelles du parti socialiste."

Les aubrystes jouent les pacificateurs. Le PS semble donc condamné à un inconfortable statu quo, ou à un rabibochage en bonne et due forme. C'est cette seconde option qui a la préférence des proches de Martine Aubry. Opposés à la loi Travail, ces derniers ne sont pas allés jusqu'à signer la motion de censure. "Le remède risquerait d'être pire que le mal", estiment François Lamy et Jean-Marc Germain dans une tribune au Monde. "La censure, adoptée, n'aurait pas seulement pour effet la démission du gouvernement, mais également le retour de la droite au pouvoir." Et les deux députés d'appeler à un "compromis" sur la loi Travail.

Les aubrystes comptent sur l'examen du texte en seconde lecture à l'Assemblée pour jouer les pacificateurs. Car après un passage au Sénat, qui commencera en juin, la loi reviendra à l'Assemblée. "Si, une nouvelle fois, il y a un 49-3, c'est un drame absolu", a estimé Jean-Marc Germain vendredi sur France Info. "Qui peut éviter qu'il y ait un 49-3 ? C'est le Premier ministre, en acceptant un certain nombre d'amendements des parlementaires."

Au nom du rassemblement. Le refus des aubrystes de signer la motion de censure après avoir pourtant dit pis que pendre de la loi El Khomri a été vécu comme une trahison pour les frondeurs. Pourtant, Martine Aubry et ses lieutenants sont des adeptes de la stratégie de l'opposition suivie de la réconciliation. C'est déjà ce que la maire de Lille avait fait en 2015, lors du Congrès de Poitiers. Elle s'était finalement ralliée à la motion de Jean-Christophe Cambadélis, moyennant des gages, au nom du rassemblement.

Et c'est encore au nom du rassemblement qu'agissent les aubrystes. Au-delà de la seule loi Travail, ils sont bien décidés à recomposer la gauche. Et proposent même d'organiser cet été une "université citoyenne de la gauche et des écologistes" pour mettre d'accord communistes, écologistes, socialistes et sociaux-démocrates. La tâche s'annonce colossale.