49.3 : un coup de force qui va coûter cher

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Margaux Baralon , modifié à
En choisissant de passer la loi Travail sans vote, le gouvernement semble avoir définitivement fracturé une majorité déjà très affaiblie.

Cela n'a été une surprise pour personne. Le conseil des ministres a autorisé, mardi après-midi, Manuel Valls à recourir au 49.3 sur la loi Travail. Le Premier ministre a décidé d'en faire usage immédiatement pour faire passer le texte controversé sans vote. Devant les élus, il a justifié cette décision "parce que la réforme doit aboutir, parce que le pays doit avancer, parce que les relations salariales et les droits des salariés doivent progresser".

Si le gouvernement dégaine cette arme constitutionnelle, c'est qu'il est dos au mur, sans majorité pour adopter son projet de loi. "Vu les différentes oppositions à ce texte, il est de ma responsabilité d'engager celle du gouvernement", a d'ailleurs reconnu Manuel Valls. Mais avec ce nouveau coup de force, le quatrième après les trois précédents de la loi Macron, l'année dernière, l'exécutif prend un risque politique majeur.

Vers une motion de censure à gauche ? En effet, le 49.3 permet de faire passer un texte de loi sans vote, à condition qu'aucune motion de censure contre le gouvernement ne soit adoptée. Dans le cas de la loi Macron, la droite (UDI et UMP) avait déposé une motion de censure, qui n'avait pas recueilli la majorité des voix nécessaires (289) pour être votée.

Cette fois, les choses pourraient être différentes. Les députés Les Républicains (ex-UMP) et UDI ont d'ores et déjà déposé leur motion de censure, qui sera débattue jeudi après-midi. Mais la gauche pourrait faire de même. André Chassaigne, président du groupe communiste à l'Assemblé, a lancé, mardi matin sur LCP, "un appel très solennel à l'ensemble des députés qui sont opposés à ce texte" pour "élaborer une motion de censure de gauche au gouvernement". Ce qu'espère l'élu, c'est que des socialistes frondeurs décideront, contrairement à ce qui s'était passé pour la loi Macron, de le rejoindre. Et de fait, les frondeurs pourraient bien s'allier à la gauche de la gauche. "On va en discuter, on va y réfléchir", a ainsi indiqué Laurent Baumel, mardi, sur iTélé. Autre chef de file des frondeurs, Christian Paul a déclaré lundi que "rien n'était exclu" quant à une éventuelle motion de censure. "C'est une décision collective que nous allons prendre [mercredi] matin", a t-il précisé le lendemain.

" Je ne suis pas sûr que si [les frondeurs] votaient avec la droite, cette motion de censure aurait une chance d'aboutir. "

Le gouvernement risque moins d'être renversé… Dans tous les cas, le renversement du gouvernement est peu probable. Si une motion de censure de gauche est bien déposée, alors les députés devront se prononcer sur deux motions différentes, l'une de droite, l'autre de gauche, et il est peu probable qu'une majorité absolue soit obtenue. Si la gauche échoue à réunir suffisamment de députés pour déposer sa motion, alors seule celle de droite sera soumise à l'approbation des élus. Là encore, il sera compliqué d'obtenir une majorité. Car contrairement aux communistes, les écologistes, comme les frondeurs, rechigneront sans doute à s'allier à la droite. "Je ne suis pas sûr que si on votait avec la droite cette motion de censure aurait une chance d'aboutir", a confié Christian Paul.

…que de fracturer sa majorité. Le risque politique réel de l'exécutif n'est donc pas tant d'être renversé par une motion de censure que de perdre un soutien déjà affaibli au sein de son propre camp. La gauche n'a jamais paru aussi divisée. Voter pour une motion de censure ou contre un budget est en effet ce qui scelle la fin de l'appartenance à la majorité. Dans un tweet, Jean-Christophe Cambadélis a estimé que Christian Paul avait "franchi la ligne jaune".

De son côté, le député socialiste Christophe Caresche, proche de Manuel Valls, a menacé les frondeurs d'une exclusion du PS. "S'ils étaient amenés à voter [la motion de censure], ils seraient exclus du Parti socialiste et ne pourraient pas se présenter aux prochaines élections au nom du Parti socialiste", a-t-il déclaré sur iTélé. Quant à Bruno Le Roux, chef de file des députés PS, il a fustigé une "petite minorité" qui "a, une nouvelle fois, voulu dicter sa loi en s'associant à la droite pour bloquer la délibération parlementaire".

Frondeurs et loyalistes se renvoient la balle. Depuis le début du parcours chaotique de la loi Travail, frondeurs et élus "légitimistes", fidèles au gouvernement, se sont renvoyés la balle, s'accusant mutuellement de bloquer les débats. "Le gouvernement a été à l'écoute", a fait valoir Manuel Valls mardi. "Il a même reconnu ses erreurs et fait évoluer ce texte tout en préservant l'équilibre d'ensemble. Nous nous sommes battus pour convaincre." Les frondeurs, de leur côté, persistent et signent. "Cette loi remet en cause un principe fondamental en permettant aux accords d'entreprise de déroger aux accords de branche sur le temps de travail", a déclaré mardi le député Mathieu Hanotin. "Il n'y a pas de raison de changer notre position contre ce texte."

Coût politique. Cette séquence risque de coûter très cher au gouvernement. L'opposition à la loi Travail a fait descendre les jeunes dans la rue, déclenché d'importantes manifestations qui, désormais, occasionnent de nombreux débordements avec les forces de l'ordre, et fait émerger le mouvement "Nuit debout". Désormais, le projet de loi, en nécessitant l'usage du 49.3, entérine aussi des divergences au sein de la majorité qui s'étaient relativement atténuées après avoir atteint, lors des débats sur la loi Macron, ce qui semblait être un paroxysme. Les élus en sont conscients. "Le message d'un 49.3 à la fin de cette séquence, si on n'arrive pas à trouver ce chemin commun, sera un message dévastateur dans notre électorat", déclarait lundi sur LCP le sénateur PS Luc Carvounas.