Turquie : Erdogan, le président qui voulait être sultan

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Le président turc voudrait modifier la Constitution pour avoir plus de pouvoirs © AFP/GENT SHKULLAKU
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Les Turcs votent dimanche pour élire leur Parlement. Mais le véritable enjeu sera de savoir s'ils veulent faire de leur président un "super-président".

Le président turc voudrait un nouveau costume. Celui de super-président. Avec les élections législatives du 7 juin 2015, Recep Tayyip Erdogan espère modifier les prérogatives du président de la République turque pour s’arroger de nouveaux pouvoirs. Le chef de l’Etat a d’ailleurs transformé le scrutin en référendum autour de sa personne.

Haine ou amour. En Turquie, Recep Tayyip Erdogan, on l’adore ou on le déteste. Depuis son arrivée au pouvoir en 2002, l’islamo-conservateur multiplie les phrases-choc populistes et les décisions autoritaires, comme les interdictions multipliées contre Youtube ou les arrestations de masse dans le milieu du prédicateur Fethullah Gülen. "Nous vivons une sorte de guerre civile symbolique et politique", analyse Ahmet Insel, enseignant à l’université de Galatasaray d’Istanbul et chroniqueur pour le journal turc Cumhürryiet. "Erdogan a réussi à cliver la société autour de son nom et de sa personnalité", continue le spécialiste de la politique turque, qui ajoute : "Dans leur grande majorité, ceux qui votent pour Erdogan tombent dans une adhésion totale avec le personnage". Même au sein du parti qu’il a fondé, l’AKP (Parti pour la justice et le développement), certains déplorent "l’arrogance" de l’homme qui se voudrait super-président.

Entre Obama et Poutine. Pour lui, le régime actuel est "un obstacle au changement" et fait de la Turquie "une voiture qui tousse car son réservoir est vide", a-t-il répété à longueur de discours. Avide de pouvoir, il a terminé ses douze ans de mandat de Premier ministre en 2014 pour s’asseoir sur le fauteuil de président. En Turquie, le chef de l’Etat a pour l’heure davantage de pouvoirs qu’en Allemagne, mais moins qu’en France. "Cela se rapprocherait du statut italien", indique le spécialiste. Avec sa réforme, Recep Tayyip Erdogan se verrait bien en Barack Obama à la turque, les contre-pouvoirs en moins. Un peu à la Poutine.

L’idée de réformer le statut de chef de l’Etat est bien celle d’Erdogan, et non issue d’une concertation des membres de l’AKP. Dans sa formation politique, certains soutiennent son idée de renforcer ses prérogatives. Mais d’autres responsables "pensent aussi à l’après-Erdogan", analyse Ahmet Insel. Car le projet du président correspond à ses envies bien personnelles. Et qui pourra bien entrer dans ce costume sur mesure une fois le règne d’Erdogan terminé ?

La star perd son éclat. Mais s’il se voudrait "sultan" avec son palais ultra-luxueux "aux mille pièces", le rêve d’Erdogan pourrait ne jamais se réaliser. Les sondages varient de 38% à 46-47%, selon les estimations et l’indépendance des instituts d’enquête d’opinion. Bien loin des 50% aux législatives de 2011. La majorité des 3/5e au Parlement, nécessaire pour faire passer sa réforme de la Constitution, ne lui est donc pas assurée. Son étoile a sérieusement pâli, victime du ralentissement de l'économie et des critiques, tant en Turquie qu'à l'étranger, qui visent sa dérive autoritaire, malgré tout soutenue par une partie des Turcs. Recep Tayyip Erdogan devra peut-être donc se contenter d’être un "président normal".

 

Ahmet Insel est l'auteur de La nouvelle Turquie d'Erdogan, du rêve démocratique à la dérive autoritaire (éditions La Découverte)