INTERVIEW - L'histoire, les personnages, les références : les confidences de Jul sur le nouvel album de Lucky Luke

Jul, le scénariste de Lucky Luke.
Jul, le scénariste de Lucky Luke. © JOEL SAGET / AFP
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avec Mathieu Charrier , modifié à
À l'occasion de la sortie du 80ème album de "l'homme qui tire plus vite que son ombre", le scénariste Jul s'est longuement confié au micro d'Europe 1 et dévoile les grandes lignes de ce nouvel album historique. 
INTERVIEW

C'est un double événement dans le monde de la BD : le 80ème album de Lucky Luke sort ce vendredi, et le cowboy solitaire quitte pour la première fois l'Amérique pour... Paris ! Jul, le scénariste de "Un cowboy à Paris" - le titre de ce nouvel album - s'est longuement confié à Europe 1 sur la genèse des nouvelles aventures de "l'homme qui tire plus vite que son ombre". Et il l'assure d'emblée : "Oui, il y a des éditeurs qui relisent, mais je n'ai pas du tout été censuré. C'est très rare : j'ai une liberté de mouvement totalement incroyable". Morceaux choisis.

Pourquoi avoir choisi cette histoire de la Statue de la Liberté ? 

"Moi, ce que j'aime dans les albums de Lucky Luke scénarisés par Goscinny, c'est quand il y a une base historique ; un événement historique, un fait de société important sur lequel on peut greffer une histoire de fiction. Et l'histoire de la Statue de la Liberté, en soi, c'est déjà un roman, même s'il n'y a pas Lucky Luke.

À Bartholdi (l'auteur de la statue), il manquait des sous pour le socle, alors il a fait une tournée américaine seulement avec le bras et la torche. Les gens payaient quelques dollars pour monter, pour voir. Ils sont ensuite retournés en France, ont monté la statue, puis démontée, et ils l'ont ramenée."

Pourquoi avoir choisi de faire venir Lucky Luke à Paris ?

"Paris, en 1880, c'est un personnage de roman. C'est le Paris le plus rayonnant, la Ville Lumière avec tous les plus grands écrivains, les plus grands peintres, les plus grands scientifiques. Tout le monde veut habiter là. Quand on fait traverser, pour la première fois, l'Atlantique au cowboy solitaire, c'est d'un seul coup une rencontre incroyable. Lui il est malade en plus, il a le mal de mer, il se trimballe avec son cheval, qui sera rebaptisé "Joli Jeanpierre" en arrivant en France. Lucky Luke fait une visite de Paris. On voit que, dans Notre-Dame, il s'étonne des têtes des gargouilles qui ressemblent furieusement à celle de Rantanplan."

Quels personnages va-t-on retrouver dans cet album ?

"Il rencontre plein de personnages, aussi bien de fiction que de personnages historiques. Évidemment, il rencontre Gustave Eiffel, qui est l'ingénieur qui a construit la structure de la Statue de la Liberté, Bartholdi bien sûr, mais aussi Arthur Rimbaud, une espèce de Billy The Kid du 19ème siècle qui braque les cafés en demandant une absinthe et des caramels mous. Il y a aussi Madame Bovary, qui va draguer Lucky Luke, Victor Hugo, qui a vraiment visité la Statue de la Liberté. En faisant mes recherches, je suis tombé sur des notes de Victor Hugo sur la visite du chantier à la plaine Monceau. 

On retrouve également les clichés éternels de Paris : les garçons de café antipathiques, les embouteillages sur les Grands boulevards, où Jolly Jumper n'a pas du tout envie de se lancer dans une poursuite."

Quid des références, très présentes dans les albums de Lucky Luke ? 

"Il y a des références historiques, mais aussi des références liées à la culture populaire. Notre monde, au 21ème siècle, a un petit peu changé, donc on a des références différentes. Il faut que ça puisse être lu aussi bien par tout le monde. Qu'il y ait aussi bien une aventure avec des courses-poursuites ou des fusillades pour faire marrer les enfants, et puis aussi des choses de culture un peu plus générale. C'est ce mélange que j'aime bien. Quand les prisonniers, dans le pénitencier, font une chorale en l'honneur de la Statue de la Liberté, eh bien ils chantent "Libérée, délivrée". Ça tombe sous le sens. 

Il y a plein de petits clins d’œil. Il y a des poursuites au niveau de la Statue de la Liberté avec des méchants, et là on est plus dans du James Bond sur le Corcovado à Rio, ou dans le Hitchcock sur le Mont Rushmore. Moi c'est ce que j'aime : qu'on puisse le lire, le relire, et aller piocher d'autres choses."

Qui est cette fois le méchant de l'histoire ? 

"On s'est vraiment basés sur des faits authentiques, mais on a dû inventer un personnage de méchant, qui s'appelle Abraham Locker. C'est le patron d'un grand pénitencier et il veut construire le pénitencier idéal et convoite le même emplacement que la Statue de la Liberté, à New York. Il est donc prêt à tout pour faire capoter le projet, et va donc envoyer toutes sortes de tueurs pour flinguer la statue. 

Ce personnage de méchant fait un peu penser à ce qu'il se passe aux États-Unis aujourd'hui. Il veut absolument construire un mur entre le Mexique et les États-Unis parce qu'il en a vraiment ras-le-bol de ces Mexicains, c'est un entrepreneur qui est prêt à tout, qui n'a plus du tout aucune morale et qui ne comprend pas comment on peut construire une statue à la gloire de la Liberté. Il dit : "Et pourquoi pas l'égalité et la fraternité tant que vous y êtes". Et surtout, cette question : "Comment ces Français qui ont choisi le jour de la destruction d'une prison comme fête nationale peuvent donner des leçons aux Américains ?"