Cinéma français : où sont les femmes ?

Tonie Marshall est l'unique femme à avoir obtenu le César de meilleur réalisateur/rice.
Tonie Marshall est l'unique femme à avoir obtenu le César de meilleur réalisateur/rice. © Patrick KOVARIK / AFP
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Mathieu Charrier, édité par A.D. , modifié à
ENQUÊTE - Alors que va s'ouvrir vendredi soir la 43e cérémonie des César, post-affaire Weinstein, la place des femmes dans l'industrie du cinéma est plus que jamais sur le devant de la scène. 
L'ENQUÊTE DU 8H

La 43e cérémonie des Césars, grand-messe du cinéma français, a lieu vendredi soir à la salle Pleyel à Paris. Et ce, dans un contexte particulier : cinq mois après les révélations de l'affaire Weinstein. Les participants sont invités à porter un ruban blanc en signe de soutien aux victimes de harcèlement et de viol. Parmi les favoris figurent les films 120 battements par minute, Au revoir là-haut ou Le sens de la fête, trois films réalisé par des hommes. Ce qui rappelle qu'en 43 ans, une seule femme a reçu le César de la meilleure réalisation, c'était Tonie Marshall en 2000 pour Vénus Beauté Institut. Depuis, rien. Notre reporter a enquêté sur la place des femmes dans le cinéma français.

Formées mais peu confiantes. A priori, il y a peu de chance pour que changement soit pour maintenant, du moins vendredi soir, car une seule femme est nommée pour le César de la meilleure réalisation. Il s'agit de Julia Ducourneau pour son film Grave. Dans sa catégorie, elle retrouvera cinq hommes. Ce qui est étonnant, c'est qu'aujourd'hui, dans les écoles de cinéma, il a y a 55% de femmes. Elle sont donc bien formées. Mais c'est après que le bât blesse : seulement un quart des films agréés par le Centre national du cinéma (CNC) sont portés par des réalisatrices. Pis, quand elles arrivent à réaliser leur film, leur budget est plus faible : 4,7 millions en moyenne pour un réalisateur, 3,5 millions pour une cinéaste.

Une seule palme d'or. Cette disparité s'explique déjà par le fait que dans toutes les commissions, chargés de sélectionner, financer les films, siègent une majorité d'hommes. Sur les 12 commissions de la direction du cinéma au CNC, trois seulement sont présidées par des femmes. Et c'est un cercle vicieux, moins il y a de femmes primées, moins les femmes se sentent légitimes à réclamer ou même à concourir. Un autre chiffre est éloquent : une seule palme d'or a été décernée à une femme Cannes en 70 ans. L'élue était Jane Campion pour La leçon de piano.

Pour la réalisatrice qui a reçu l’unique César, Tonie Marshall, les choses doivent évoluer : "Il faut leur donner confiance, et surtout il faut leur donner envie d'investir tous les territoires du cinéma : des films comme ceux de Dany Boon, de Luc Besson, les très gros films. C'est vraiment un domaine qui, pour l'instant, n'est pas du tout investi par les réalisatrices. C'est peut-être plus facile de monter une très grosse comédie que monter un film qui vaudrait 4 ou 5 millions en ayant une histoire plus sensible, plus imaginative. Si ça coince, alors il va falloir forcer", lance-t-elle.

Quotas. "Forcer ce qui coince" pourrait vouloir dire imposer des quotas, dans les commissions mais aussi dans le financement du CNC. On peut imaginer la mise en place d'une obligation de donner 50% des aides à des films de réalisatrices. C'est ce que sont en train de mettre en place la Suède et l'Irlande par exemple. L'Espagne et le Canada aussi réfléchissent à ce genre de mesures. La ministre de la culture François Nyssen s'y est dite favorable jeudi matin sur Europe 1. "Aujourd'hui, le problème, c'est que les femmes ne se sentent pas autorisées. Elle sont sur les bancs des écoles et après, bizarrement, elles disparaissent", martèle-t-elle. "C'est là qu'il faut changer la vision des choses."

Reste maintenant à passer de la parole aux actes. Du côté du CNC, on se dit prêt, en attendant une rencontre avec la ministre pour réfléchir à l'application concrète de ces quotas. Sauf que pour l'instant, aucun calendrier n'a été fixé.