Booba-Kaaris : les clashs, un classique du rap français

Booba sur scène (1280x640) Sebastien Bozon / AFP
Booba maîtrise comme personne l'art du clash 2.0. © Sebastien Bozon / AFP
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avec Margaux Lannuzel , modifié à
Avant de s'affronter dans un aéroport, Booba et Kaaris se "clashaient" dans des morceaux ou sur les réseaux. Comme d'autres avant eux.

Si Booba et Kaaris ont (tristement) marqué l'histoire du rap français en se bagarrant dans le hall d'un aéroport, ils ne sont pas les premiers, en revanche, à nourrir une inimitié au sein du monde du rap. Logique, le clash est un élément clé de la culture hip hop. Mais, à l'origine, le clash est un échange de mots et non de coups. Il a émergé dans les années 1970 aux États-Unis et a nourri les "battles" de MC amateurs, où fleurissent les "punchlines", comme l'a bien montré le film 8 mile de Curtis Hanson, qui retrace le parcours d'Eminem. Au fil du temps, le côté artistique, "brûlant", du clash s'est un peu dissous dans une pratique plus commerciale, liée aussi à l'impact des réseaux sociaux. Les exemples en France au fil des années le prouvent.

IAM-NTM, la rivalité historique

Ce sont les deux mastodontes des années 1990. D'un côté, le Suprême NTM, Paris, l'urgence, le discours engagé, les textes enragés. De l'autre, IAM, Marseille, un côté plus cool assumé, des références multiples. Ils avaient évidemment tout pour s'opposer, mais ils ne l'ont jamais fait, sur disque en tout cas. Car, pour ce qui est des interviews ou des plateaux télé, les allusions ont fusé. La légende dit également qu'ils ont été au centre de deux bagarres, l'une à Saint-Denis, l'autre à Vitrolles, en marge de deux festivals. Mais ça n'avait pas été filmé. Un autre temps… 

"Se bagarrer physiquement, ça fait partie depuis toujours de l'histoire du rap, que ce soit aux États-Unis ou en France", a rappelé sur Europe 1 Benjamine Weil, philosophe spécialiste du rap et des questions sociales. "Elles (les bagarres) n'étaient pas aussi médiatisées qu'aujourd'hui parce que tout le monde n'avait pas forcément un smartphone dans la poche et les réseaux sociaux n'étaient pas ce qu'ils étaient."

MC Jean Gab'1, pionnier dans son genre

En 2003, MC Jean Gab'1 sort le single J't'emmerde. Dans ce titre, celui qui ne se définit pas uniquement comme un rappeur s'amuse à critiquer toute la scène française de l'époque. Les plus sanguins (les plus inspirés peut-être aussi) lui répondent, comme JoeyStarr, Kool Shen ou Booba, déjà. À partir de ce titre, le clash sort le plus souvent de son cadre artistique pour devenir une affaire de personnes, sans que l'on sache toujours si l'inimitié est surjouée ou non.

MC Jean Gab'1 "clashe"… beaucoup de monde dans J't'emmerde :

Rohff, La Fouine, Lord Kossity, Nekfeu et les autres…

"Depuis le début des années 2000, on commence à assister à une escalade du côté des clashs agressifs, qui sont relayés par les médias, et même les médias spécialisés. On parle essentiellement du rap quand il y a ce genre d’événement", estime Benjamine Weill.

Après l'épisode MC Jean Gab'1, le rap français devient un immense terrain de jeu, avec des rappeurs l'un contre l'autre, mais aussi leurs protégés, les membres de leurs clans, etc. Il y a eu Zoxea vs. Dontcha, Jacy Brown contre Lord Kossity, Kamelancien face à La Fouine, Kizito contre Sinik, Youssoupha vs. Nessbeal, Guizmo face à Nekfeu, Sultan contre Benash… La plupart du temps, après quelques semaines ou quelques mois, la rivalité perd de sa vigueur, quand elle ne se finit pas par une réconciliation en bonne et due forme (et avec les honneurs pour les deux, bien sûr). Mais, dans le domaine du clash, la France semble avoir son champion…

Booba, le maître ès clashs

Depuis le milieu des années 2000, période d'émergence du clash, Booba en est devenu un peu le grand chef d'orchestre. "Je ne dirai pas qu'il y a de véritable clan dans le rap français, il y a des écoles, des tendances, mais la plupart des clashs impliquent le personnage de Booba", souligne la spécialiste. 

Celui qui se surnomme "le duc de Boulbi" (pour Boulogne-Billancourt) s'est fâché avec une bonne partie de la scène française, qui, parfois, le lui rend bien. Parti vivre à Miami, "B2O" a adopté certains codes du rap américain (grosses voitures, femmes dénudées, armes, argent…), mais aussi la pratique du clash virulent.

Booba "clashe" La Fouine dans AC Milan :

Booba s'en est déjà pris à La Fouine, Sinik, Rohff, Maître Gims et même… Laurent Gerra, qui avait pastiché la Une des Inrocks avec le rappeur. Très présent sur les réseaux sociaux, Booba y a exporté la logique du clash. "Les stars du rap, donc celles qui vendent le plus, sont devenues des équivalents des instagrameurs ou des youtubeurs, qui doivent aller de plus en plus loin pour vendre", considère Benjamine Weill.

Mais les bons mots qu'il emploie souvent débouchent parfois sur de très mauvais coups. Booba s'était déjà battu avec La Fouine en 2013, à Miami, rappelle l'AFP. En avril 2017, l'un de ses grands rivaux, Rohff, et plusieurs autres personnes étaient venus à la boutique parisienne de la marque de Booba, Unküt, pour faire le coup de poing. Un jeune employé avait été laissé dans un état critique et un autre avait été assommé. Rohff, déjà plusieurs fois condamné dont une fois pour violences avec arme, a écopé dans cette affaire de cinq ans de prison pour violences aggravées, décision dont il a fait appel.

Mercredi, la bagarre a éclaté avec Kaaris, l'un des anciens protégés de Booba, auquel il a reproché, entre autres, de ne pas l'avoir assez défendu… contre Rohff. Jeudi soir, la garde à vue des deux rappeurs a été prolongée. Et leur clash a cette fois définitivement quitté la rubrique culture pour celle des faits divers.