Mondial de handball : Nikola Karabatic, l'histoire d'un retour inespéré

Nikola Karabatic fêtera sans doute face à la Russie sa 300ème sélection, jeudi.
Nikola Karabatic fêtera sans doute face à la Russie sa 300ème sélection, jeudi. © John MACDOUGALL / AFP
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Thibauld Mathieu
Opéré du pied gauche en octobre dernier, la star de l'équipe de France de handball, 34 ans, a déjoué tous les pronostics en intégrant la liste des seize en vue du match contre la Russie jeudi. Au prix d'un travail de forçat.

Il est bel et bien de retour ! Non content d'avoir rejoint ses partenaires samedi à Berlin, Nikola Karabatic a intégré mercredi le groupe des seize handballeurs appelés à défier la Russie, jeudi (20h30), pour le dernier match du tour préliminaire du Mondial. Le demi-centre de l'équipe de France remplace numériquement le capitaine Cédric Sorhaindo, blessé au mollet droit lors du nul contre l'Allemagne (25-25). Un retour à la vitesse de l'éclair, preuve s'il en est de sa force mentale et physique.

On lui promettait quatre à six mois d'absence

Il lui était devenu quasiment impossible de jouer ou de s'entraîner, tant la douleur était intense... Souffrant depuis décembre 2016 d'un hallux valgus à l'orteil - un oignon, dans le langage courant - Nikola Karabatic prend donc la décision de se faire opérer du pied gauche, le 19 octobre 2018. L'intervention est lourde. Elle nécessite de lui fracturer le pied en cinq endroits différents et de lui raboter un os. Le diagnostic tombe : le joueur de 34 ans devra se tenir éloigné des parquets entre quatre à six mois. Il ne jouera donc pas le Mondial avec les Bleus, du 10 au 27 janvier.

"Je suis très triste de rater tout ça, de ne pas pouvoir être aux côtés de mes amis et coéquipiers en janvier prochain. Mais je n’aurais pas été en état de jouer, j’aurais été un poids pour l’équipe", réagit alors le quadruple champion du monde, en postant une photo de son pied sur les réseaux sociaux.

Dans la foulée, Karabatic quitte la clinique… En marchant, sans béquille, le pied simplement enveloppé dans une botte de protection.

Des heures de rééducation, puis la réathlétisation

À peine quatre jours plus tard, le Parisien passe plusieurs heures par jour à rééduquer son pied avec les kinés du PSG, parmi lesquels Christophe Dubois. Mi-novembre, il reprend doucement la course, bien avant les dates prévues. Puis viennent les premiers shoots et les changements de direction.

"L'idée d'être là" au Mondial réapparaît alors "dans un coin de [sa] tête", se souvient aujourd'hui l'intéressé. Début décembre, le sélectionneur Didier Dinart l'inscrit ainsi sur la liste des 28 susceptibles d'être appelés au cours du tournoi.

Le staff de l'équipe de France s'attache cependant à ne pas brûler les étapes. "Aujourd'hui, on n'y croit pas", lâche même le coach adjoint, Guillaume Gille, le 27 décembre. "Nikola a certes gagné du temps sur le protocole de départ, mais personne ne peut dire à quelle vitesse il va continuer à récupérer. Alors on va d’abord s’attacher à préparer les joueurs présents, ça fait déjà pas mal de boulot".

Le n°13 des Experts, lui, s'accroche à son objectif. Le 3 janvier, il reprend l'entraînement avec les jeunes de l'équipe réserve du PSG, afin de reprendre du rythme, mais aussi de convaincre son club que les risques de reprise sont limités.

Un scénario réfléchi en coulisses

Et si l'équipe de France embarque pour Berlin sans sa star, pour la toute première fois depuis 2003 et le championnat du monde au Portugal, quelque chose se trame en coulisses. Didier Dinart a en effet prévu d'incorporer son meilleur atout après le premier match, face au Brésil. Le scénario n'a pas été divulgué "pour ne pas perturber l'équipe", a révélé "Niko", samedi, sur le site de la Fédération française de handball.

À la surprise générale, Karabatic rejoint donc ses partenaires dès le troisième jour de compétition, après la victoire inaugurale contre le Brésil (24-22). "Le premier objectif est de renouer le contact avec l'équipe, de me réentraîner avec elle. Si je suis trop à la traîne, ça ne sert à rien de rentrer et de prendre la place d'un de mes coéquipiers. Ce sera déjà une étape importante de voir comment je m'adapte et à quel niveau je me situe. Quand elle sera passée, il sera temps de se poser les autres questions", glisse celui qui a été sacré trois fois meilleur joueur de la planète (2007, 2014, 2016).

Sa première séance d'entraînement, dimanche soir, apporte quelques éléments de réponse au staff tricolore. Au lendemain du match nul face à l'Allemagne (25-25) mardi, durant lequel le capitaine Cédric Sorhaindo se blesse au mollet droit, Didier Dinart contacte les dirigeants du PSG. En accord avec eux, le feu vert est donné à sa présence dans les seize. Karabatic est apte à jouer.

Son tournoi peut enfin démarrer

La France étant déjà qualifiée pour le deuxième tour à Cologne, cela pourrait être dès jeudi contre la Russie. Une rencontre qui n'aura d'enjeu que si le Brésil ne bat pas la Corée, dans l'après-midi (15h30).  Si tel est le cas, son temps de jeu devrait rester limité. Car trois mois ont passé depuis son dernier match officiel, le 16 octobre en Ligue des champions. Karabatic sait d'ailleurs que même s'il entre en jeu, "ce ne sera pas pour faire ce qu'(il) faisait avant, c'est-à-dire jouer une heure attaque-défense".

Il pourrait cependant rendre de fiers services lors du tour principal, à partir de samedi à Cologne. Les Bleus y retrouveront l'Espagne et la Croatie ainsi que la Macédoine ou l'Islande, avec deux billets en jeu pour les demi-finales.

 

 

 

Comment expliquer un retour si rapide ?

Pour l'ancien coach d'athlétisme Jean-Claude Perrin, "il n'y a pas une seule explication rationnelle" à ce retour. "Les sportifs de haut niveau ne réagissent pas comme les autres êtres humains. Ils n'ont pas la même perception de leur blessure", affirme notre expert, qui souligne les capacités mentales hors-norme du joueur. "Le mental est plus qu'un point fort pour lui. Il l'a montré dans le sport, mais aussi face aux graves problèmes juridiques qu'il a dû affronter, dans une affaire de paris truqués qui n'a jamais influé sur ses performances".

Et s'il n'avait jusqu'alors jamais connu de longue blessure, Nikola Karabatic a déjà démontré plusieurs fois par le passé sa capacité à aller au-delà de la douleur. "Lors d’un match contre Hanovre, où il passait au travers, il a filé un grand coup de pied dans le banc. En rentrant au vestiaire, tout le monde s’est rendu compte qu’il avait fini le match avec un orteil cassé", raconte notamment son agent Bhakti Ong, dans les colonnes du Parisien. "La semaine d’après, à Lemgo, on lui avait ouvert la chaussure et fait une anesthésie au pied pour qu’il puisse jouer. La piqûre n’a fait effet qu’une mi-temps, mais il est resté sur le terrain tout le match".

Et les anecdotes de ce genre sont nombreuses à propos du Français. "Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est un surhomme, mais il a des capacités de récupération et des facultés physiques exceptionnelles. Il m’impressionne. Et je peux vous dire qu’on n’est pas au bout de nos surprises", en sourit même le sélectionneur des Bleus Didier Dinart.