"Jouer pour la France, c'est un rêve" : au cœur de la sélection de l'Équipe de France de eFoot

Les six joueurs appelés en équipe de France d'eFoot vont s'entraîner pendant trois mois par paire.
Les six joueurs appelés en équipe de France d'eFoot vont s'entraîner pendant trois mois par paire. © CLÉMENT LESAFFRE / EUROPE 1
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En 2018, la Fédération française de football a lancé l'équipe de France d'eFoot, un groupe de joueurs sélectionnés chaque année pour représenter la France lors des compétitions du jeu vidéo "FIFA". Europe 1 était présent à Clairefontaine lors de la sélection de l'équipe pour la Coupe du monde.
REPORTAGE

Si on vous dit que l’équipe de France de foot est championne du monde, a priori on ne vous apprend rien. Mais si on vous dit que la France est aussi championne du monde de eFoot ? On parle là de jeux vidéo. Depuis trois ans, la Fédération française de football sélectionne quelques uns des meilleurs joueurs français sur le jeu vidéo de foot FIFA, pour représenter la France dans les compétitions d'e-sport. Les Bleus ont ainsi remporté l'an dernier la toute première eNations Cup, la Coupe du monde de eFoot organisée par la FIFA. Chaque année, la sélection a lieu à Clairefontaine. Europe 1 a pu assister à la naissance de l'équipe de 2020.

Du club à l'équipe de France

Il est 14h mercredi quand nous arrivons à Clairefontaine, au Centre national du football. Direction le château, "maison" des différentes équipes de France. La veille, 16 joueurs spécialistes de FIFA 20 ont pris leurs quartiers dans les chambres d'ordinaire réservés à Kylian Mbappé, Antoine Griezmann et les autres stars des Bleus. "C'est un rêve pour plein d'enfants et nous le vit. C'est magnifique", s'enthousiasme Abdelhamid "Mence" Fares, l'un des 16 appelés. Dans sa chambre, il a trouvé une tenue complète, avec le blason de l'équipe de France d'eFoot, orné de l'étoile de champion du monde. Mardi, à peine ses valises déballées, il a participé au tournoi inaugural qui a offert les deux premières des six places dans l'équipe.

Les joueurs s'affrontent sur FIFA en duo par groupes de huit.

Pour les vainqueurs, Dylan "Dylo" Gözuäcik et Nathan "Herozia" Gil, la journée de mercredi se déroule donc sans pression. Pour les autres, il s'agit de gagner sa place. Après un foot matinal, le vrai, avec crampons et ballon, les e-sportifs récupèrent leurs manettes l'après-midi. Pour l'occasion, le hall du château a été transformé en centre de e-sport, avec quatre consoles de jeu et des télévisions partout. Cette fois, les joueurs s'affrontent par équipes de deux, le format de la Coupe du monde. Pendant trois heures, ils enchaînent les matches virtuels, avec des coéquipiers différents. "Il faut un ou deux matches pour s'adapter au jeu de son coéquipier parce qu'on ne se connaît pas forcément", explique "Mence".

Il y a de nombreux profils parmi les joueurs. "Mence" est un joueur "free agent" : comprendre qu'il n'est pas sous contrat avec une équipe professionnelle de e-sport. Ce qui est le cas de son frère, Fouad "Rafsou" Fares, lui aussi convié à Clairefontaine, et engagé le reste de l'année avec l'équipe française IFY eSports. Comme pour les "vrais" Bleus, la sélection n'est jamais acquise. Parmi les joueurs présents à Clairefontaine, certains ont déjà été appelés en 2018 et/ou 2019. Mais ils doivent repasser par le même processus de sélection que les novices.

Entre deux matches, les joueurs se détendent en jouant au billard ou en discutant entre eux.

Mais tous un point commun : ils espèrent représenter la France. Marvyn "Aero" Robert évolue au sein de l'équipe e-sport de l'Olympique Lyonnais mais il rêve de bleu. "Jouer dans un club comme l'OL, c'est déjà fantastique pour moi. Mais si, un jour, j'ai la chance de jouer pour l'équipe de France, j'aurai accompli ce que peu de personnes pourront faire. Ce serait fou", souffle-t-il entre deux matches. La compétition est réelle mais on ne sent pas d'animosité entre les aspirants Bleus. Pendant les pauses, ils se retrouvent autour du billard pour débriefer leurs performances ou parler de leurs joueurs préférés.

Composer la meilleure équipe possible

Dans la salle, un homme garde sa concentration en permanence. C'est Brian Savary, le coach. Ancien joueur pro de FIFA au sein de l'équipe française Vitality, une référence dans le milieu du e-sport, il a pris les rênes de l'équipe de France cette année. "Avoir le coq sur le maillot, ça met une pression supplémentaire. On m'appelle souvent Didier Deschamps maintenant", rigole-t-il. "Mon rôle, c'est surtout d'observer, de repérer les affinités, dans la vie et dans le jeu, entre des joueurs puisqu'il faudra composer des paires pour la eNations Cup", explique Brian Savary en passant derrière les différentes équipes.

Le sélectionneur Brian Savary, en train de superviser les candidats pour l'équipe de France d'eFoot.

Quand ils ne jouent pas, les joueurs défilent l'un après l'autre dans le réfectoire, transformé en salle d'entretien. Ils sont reçus par Florent Soulez, responsable marketing de la FFF et en charge de l'équipe d'eFoot. "En 2018, nous avons été la première fédération à créer notre propre sélection d'eFoot nationale. Nous avons choisi de retenir une sélection de six joueurs, qui représenteront la France dans les compétitions internationales. Et les deux meilleurs participeront à la Coupe du monde, l'eNations Cup", précise-t-il. La FFF cherche aussi des profils capables de plaire au public : les joueurs d'e-sport sont parfois des stars comme les sportifs.

En plus des résultats sur FIFA et du comportement au sein du groupe, ces entretiens servent à évaluer les 16 joueurs présents à Clairefontaine. Et finalement, après une demi-heure de délibération, Brian Savary et son staff annoncent leur sélection peu avant 17h. En plus de Dylan "Dylo" Gözuäcik et Nathan "Herozia" Gil, déjà retenus après le tournoi inaugural de mardi, Yann "Cursorr" Robin, Corentin "Maestro" Thuillier, Amine "Mino" Boughanmi et Corentin "Rocky" Chevrey sont appelés en équipe de France d'eFoot, sous les applaudissements des autres joueurs non-sélectionnés.

Objectif deuxième étoile

"Ça n'a pas été facile. J'ai un problème de riche : en France, il y a beaucoup de très bons joueurs. J'ai fait mes choix, d'autres auraient fait différemment, c'est sûr. À voir si l'avenir me donne raison ou pas", commente le coach Brian Savary. Son équipe, il la connaît bien : quatre des six joueurs évoluent avec lui au sein de l'équipe Vitality et étaient déjà présents en équipe de France l'an dernier lors du sacre à la eNations Cup. "J'ai été le plus impartial possible", assure le sélectionneur. "La régularité sur l'ensemble de la saison est un critère déterminant. Je voulais aussi des leaders qui soudent le groupe."

Le sélectionneur Brian Savary (à gauche) et son équipe de France d'eFoot. À droite, Yann "Cursorr" Robin.

Parmi les deux petits nouveaux du groupe France, Yann "Cursorr" Robin est ému, forcément. L'an dernier, il avait échoué de peu. "C'est un soulagement total ! J'étais tellement déçu l'an dernier. Et là, quand j'entends mon nom, c'est fou…", confie le jeune homme discret de 19 ans. "Quand on est jeune et fan de foot, on se dit tous qu'on veut être joueur professionnel et aller au moins une fois à Clairefontaine. Et là, je vais porter le maillot des Bleus en tant que joueur, pas en tant que supporter, c'est formidable. Jouer pour la France, c'est un rêve !" 

Sa joie contraste avec la déception de ceux qui restent sur le carreau, parfois pour la troisième année de suite. Une fois passées les félicitations de rigueur, les visages se ferment dans le hall du château de Clairefontaine. Les yeux se perdent dans le vague alors que le rêve prend fin. Déjà, les battus du jour doivent quitter les lieux. Les six sélectionnés eux, ont droit à un jour supplémentaire dans la résidence des Bleus. Après une soirée passée à profiter ensemble, le lendemain, ils vont être briefés sur le calendrier qui les emmènera jusqu'à la eNations Cup, organisée à Londres en mai. Avec un objectif : faire comme les Bleus du foot et ajouter une deuxième étoile sur leur maillot.