Joyon et Coville s'inclinent

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LAURENT DUYCK , modifié à
Leur expérience à la barre de leur bateau respectif en faisait les deux grands favoris de la Route du Rhum dans la classe Ultimes. Francis Joyon (IDEC) et Thomas Coville (Sodebo), arrivés dans cet ordre mercredi à Pointe-à-Pitre, se sont inclinés devant Franck Cammas, qui a réussi son incroyable pari de mener à bien Groupama 3, un maxi-trimaran conçu pour dix marins.

Leur expérience à la barre de leur bateau respectif en faisait les deux grands favoris de la Route du Rhum dans la classe Ultimes. Francis Joyon (IDEC) et Thomas Coville (Sodebo), arrivés dans cet ordre mercredi à Pointe-à-Pitre, se sont inclinés devant Franck Cammas, qui a réussi son incroyable pari de mener à bien Groupama 3, un maxi-trimaran conçu pour dix marins. A la veille du départ de cette neuvième édition de la Route du Rhum, Yann Eliès, notre chroniqueur pendant la course, nous avait dressé le tableau dans la catégorie Ultimes. "C'est un peu le grand écart entre Groupama 3, qui a un potentiel énorme mais à propos duquel on s'interroge sur les capacités de Franck Cammas à le mener, et Gitana 11 qui est extrêmement pointu et réactif, plus proche de l'utilisation idéale qu'on peut se faire d'un multicoque en solitaire, mais qui est extrêmement volage et nécessite une vigilance de tous les instants. Entre les deux, il y a Francis Joyon et Thomas Coville qui ont des bateaux spécialement conçus pour le solitaire, ils les connaissent sur le bout des doigts", disait-il avant de dire tout haut ce que beaucoup pensaient à quai à Saint-Malo: "Pour moi, ce sont les favoris". Comment ne pas avoir eu la tentation de mettre une pièce en effet sur le "roc de Locmariaquer" et le Breton, deux hommes qui depuis trois ans se sont approprié tous les records en solitaire, du tour du monde (propriété de Joyon sur IDEC) à ceux de l'Atlantique Nord ou des 24 heures (propriété de Coville sur Sodebo) ? Les deux hommes avaient en effet tout pour eux, à commencer par une connaissance inégalée de leurs trimarans respectifs, sortis tous deux du cabinet de Nigel Irens et Benoît Cabaret et sur lesquels ils ont depuis chacun parcouru l'équivalent de deux tours du monde et demi. Pour eux également l'avantage de disposer des bateaux les plus polyvalents, Groupama 3 étant a priori taillé pour la brise, Gitana 11 pour le temps léger ou médium. Joyon: "Ce n'était plus du domaine du nautisme" Cette belle théorie sur le papier s'est heurtée à la réalité de l'Atlantique. Dès Ouesssant, l'extrémité ouest de la Bretagne qui marquait la sortie de la Manche, chacun a tenté de tirer son épingle du jeu, Coville sur une route plus directe qui allait l'obliger à affronter plusieurs fronts, Joyon sur une stratégie de contournement de l'anticyclone par le sud. Deux options opposées, à l'image de la personnalité de ces deux marins très éloignés dans l'approche de leur métier, la rusticité d'IDEC se heurtant à la sophistication de Sodebo, qui se sont révélées vaines devant la puissance et la vélocité de Groupama 3. Parti dans le même sens que Franck Cammas, Joyon s'est vite fait une raison. "J'ai compris rapidement que Franck avait un avion. Ce n'était plus du domaine du nautisme. Dès le premier jour, il nous a collé 100 milles. Mes ambitions de victoire ont été un peu amoindries à la suite de cette envolée", expliquait-il mercredi à son arrivée à Pointe-à-Pitre. S'il a longtemps espéré croiser devant Groupama 3, Coville a lui aussi été contraint d'abdiquer, même s'il se refusait encore à l'avouer vendredi dernier: "La fin est très compliquée, il peut se passer encore beaucoup de choses et je ne suis pas du genre à lâcher le morceau. Au départ, Groupama a eu un peu de réussite pour passer le Cap Finisterre, une réussite que les autres (Francis Joyon et Yann Guichard, ndlr) n'ont pas eue, mais les mouches peuvent changer d'âne, je vais me battre jusqu'au bout. Il faudrait qu'il s'empétole (arrêté dans une zone sans vent, ndlr). En solitaire sur nos bateaux, il peut arriver tellement de choses tellement rapidement que je ne pense pas que ce soit fini." Trois jours plus tard, la messe était pourtant dite. Et le skipper de Sodebo de reconnaître la supériorité de celui qu'il a accompagné avec succès à bord de Groupama 3 lors du dernier Trophée Jules-Verne: "Bravo Franck ! Super boulot ! Super bateau, super bien préparé et un joli choix de route. C'était très intelligemment mené, à l'image de son skipper. Ce n'est pas facile à vivre quand tu sais que les dés sont jetés et que tu as perdu." Coville: "Seule la victoire est jolie" Restait à savoir qui, de ces deux chasseurs de records (Coville repartira en fin d'année à l'assaut du record du tour du monde détenu par Joyon en 57 jours 13 heures 34 minutes et 06 secondes), monterait sur la deuxième marche du podium de cette neuvième édition derrière Cammas. A la faveur d'un meilleur angle de vent à l'approche de la Guadeloupe, le skipper d'IDEC a doublé son rival pour franchir la ligne dans la nuit de mardi à mercredi à 2h52' après 9 jours, 13 heures, 50 minutes et 48 secondes de course, soit 10h30 après le grand vainqueur de cette neuvième édition. "On avait anticipé avec Jean-Yves Bernot (son routeur météo, ndlr) cette hypothèse (le retour par le sud, ndlr) pour essayer de revenir au contact avec Groupama 3, expliquait-il. J'étais un peu désespéré au début de l'option car le risque de calme était prévu sur l'arrivée, pas au début de l'option. Et je me suis retrouvé encalminé pendant huit heures au début. Ce qui fait que j'étais assez inquiet sur la suite des opérations." Le pire était pourtant réservé à Coville, contraint de tirer des bords depuis 24 heures pour descendre jusqu'au canal des Saintes, ne franchissant la ligne d'arrivée que ce mercredi après-midi, à 16 heures, 15 minutes et 11 secondes (heure de Paris), soit près de 24 heures après Cammas, lequel l'a accueilli chaleureusement sur le ponton. Un beau troisième visiblement très déçu de sa place. "Ce n'est que la troisième place. Il n'y a pas d'autres places que la première sur la Route du Rhum. C'est comme sur la Coupe de l'America, il n'y a pas de second, Majesté ! Comme le disait Malinovski qui nous a quittés dernièrement, seule la victoire est jolie", réagissait-il à chaud, avouant avoir rencontré deux gros problèmes en course, dont la perte de la drisse de grand-voile aux Açores qui l'a obligé à monter à trois reprises dans son mât et à terminer la course avec un ris (voilure réduite, ndlr). Malgré cette grosse avarie qui aurait pu le contraindre à l'abandon, Coville s'est accroché pour réussir une "course pugnace, engagée, forte en émotions". Sans réussite au bout, lui qui a déjà gagné la Route du Rhum en monocoque Imoca en 1998. "Ça aurait pu payer. J'ai déjà dit ça l'année dernière après le tour du monde. J'aimerais bien qu'un jour ça paie." Rendez-vous dans quatre ans ?