Vincent Cespedes : avec les réseaux sociaux, "on peut arriver ensemble à une performance intellectuelle extraordinaire"

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A.D
Le philosophe se méfie d'une "hypnose collective" des réseaux, mais appelle à les utiliser. Il pense qu'ils peuvent offrir de réels bénéfices dont l’émergence d'une nouvelle forme d'intelligence.
INTERVIEW

24 heures sans "liker" les publications d'un ami : c'était le défi détox lancé mercredi aux adeptes de Facebook, réseau social utilisé par 33 millions d'abonnées en France (soit près d'un Français sur deux). Lancer une journée sans Facebook serait l'illustration de notre addiction au réseau, et plus généralement aux écrans. Le philosophe et essayiste Vincent Cespedes était l'invité samedi de l'émission C'est arrivé cette semaine. Il analyse ce que provoque sur l'homme ce monde de plus en plus connecté.

"Mélange constant de réel et de virtuel". En soit, une détox de 24 heures n'a rien de vraiment difficile ou significatif, pour le philosophe. "C'est juste un électrochoc pour qu'on puisse prendre conscience de l'implication de ces réseaux dans nos vies. On se rend compte d'une hypnose collective. Je vois plutôt ça comme une sorte de piqûre d'autocritique civilisationnelle plus qu'un changement de comportement." Néanmoins, 24 heures laissent le temps de réfléchir, notamment à ce qui se passe dans le réel d'une part et dans le virtuel d'autre part. "La grande nouveauté des réseaux sociaux, c'est que maintenant, nous pouvons construire des relations interpersonnelles dans le virtuel. C'est ce que j'appelle la cybermodernité. Nous ne sommes plus dans la modernité ni même dans l'hypermodernité - l'individualisme, la consommation comme seul objectif - mais dans le mélange constant du virtuel et du réel. Certains le déplorent, moi je pense qu'il y a des opportunités d'épanouissement là-dedans."

"Intelligence connective". L'idée est pour le philosophe d'utiliser intelligemment les réseaux. Dans un débat comme celui de #BalanceTonPorc, Vincent Cespedes estime que les interventions s'auto-régulent. "Il y a toujours des trolls qui vont pousser les gens à s'énerver, des gens très sages qui vont vérifier les infos et remettre le calme. Tout ça s’équilibre. La personnalité de chacun participe au débat et construit une 'intelligence connective'. Le philosophe distingue désormais trois formes d'intelligence : l'intelligence individuelle, l'intelligence collective (partis, syndicats, groupes d'amis) et cette troisième forme d'intelligence connective. "On n'est pas ensemble autour de la table mais on est connectés et on peut arriver ensemble à une performance intellectuelle extraordinaire."

"Démocratisation du narcissisme". A ce côté positif, Vincent Cespedes ajoute une mise en garde. "On est quand même incité à vouloir cumuler les likes, les amis. Il y a une incitation au 'personal branding', à se vendre soi-même. En fait, Facebook, c'est la démocratisation du narcissisme. Avant le narcissisme n'était fait que pour ceux qui pouvaient avoir leur petite cour, aujourd'hui, tout le monde peut avoir sa petite cour ou l'illusion de l'avoir. Il y a un grand plaisir dans le narcissisme. Facebook utilise à fond ces leviers psychologiques."