"Tout peut arriver" : on a suivi l'extraction de prison d'un détenu classé "dangereux"

Europe 1 a exceptionnellement pu suivre l'escorte d'un détenu classé trois sur quatre en niveau de dangerosité. 5:30
  • Copié
Salomé Legrand, avec Margaux Lannuzel , modifié à
REPORTAGE - Autrefois assurées par les policiers et les gendarmes, les escortes de détenus sont essentiellement réalisées par le personnel pénitentiaire. Notre reporter a pu en suivre une, entre la maison d'arrêt de Villepinte et le tribunal de Senlis. 
REPORTAGE

Igor a 35 ans et des bras épais comme des cuisses. Originaire des pays de l'Est, cet homme d'1,85 m attend en prison son procès pour des faits de criminalité organisée. Son niveau de dangerosité, évalué par l’administration pénitentiaire, conduit à le faire escorter par un dispositif de niveau trois sur une échelle qui en compte quatre. Alors pour le conduire de la prison où il est détenu, à Villepinte, en Seine-Saint-Denis, au tribunal de Senlis, dans l'Oise, où un magistrat doit étudier le renouvellement de son placement en détention provisoire, une équipe d'extraction judiciaire renforcée est mobilisée : trois agents dont un gradé, tous armés, en gilets pare-balles - mais sans cagoules. Exceptionnellement, Europe 1 a pu assister à cette extraction. 

"Il faut toujours être vigilant, c'est ça qui est passionnant"

"Il faut savoir le trajet par cœur, par cœur, par cœur", explique Ahmed, la trentaine, au volant du fourgon. Ancien policier, l'agent a préalablement repéré plusieurs itinéraires, ainsi que les gendarmeries et les prisons les plus proches de chacun d'entre eux. En escorte de niveau 3, son véhicule n’est pas tenu au code de la route et doit être perpétuellement en mouvement : "à chaque intersection, chaque feu rouge, chaque rond-point, toujours le deux tons", le gyrophare en marche. "Il faut aussi avoir une conduite fluide. Je ne m'arrête jamais." 

"On met en garde les agents contre la routine, sinon on tombe facilement dans la banalité", prévient de son côté Alban Le Grain, ancien surveillant de prison et désormais chef adjoint du Pôle de rattachement des extractions judiciaires (PREJ) de Seine Saint Denis. "On se dit que (...) ça va bien se passer, ça se passe toujours bien. Mais on a eu des événements récents sur la région parisienne, où un détenu simule un malaise et puis l'autre en profite pour arracher la chaîne de conduite et partir en courant. Il faut toujours être vigilant, c'est ça qui est passionnant." 

"Quelqu'un qui nous suit d'un peu trop près"

À droite d'Ahmed, Alban, qui s'occupe des extractions depuis 2011, gère tous les papiers officiels et prend les décisions en cas de problème : il est chef d'escorte. Derrière eux, le détenu est immobilisé par des menottes, fixées à une ceinture abdominale. Christophe et Baba, les agents de contact, scrutent eux l'attitude du détenu, mais aussi les abords de la voiture. "Je contrôle les arrières, pour voir s'il n'y a pas quelqu'un qui arrive ou qui nous suit d'un peu trop près", souffle l'un des agents. "Chacun a son périmètre. En même temps, il jette un petit coup d’œil au détenu, pour voir comment il réagit, s'il est nerveux, tranquille, aux aguets..."

Les "escortes" discutent aussi avec celui qu'ils transportent, notamment pour savoir s'il n'est pas originaire de l'un des secteurs traversé par le fourgon. "Comme en détention, on sait très bien qu'il y a des téléphones, ils peuvent dire : 'je m'en vais demain, je sors'. Il y a des collègues qui se sont fait attaquer d'ailleurs. Quand on part, on prend une personne détenue et on la sort d'un milieu fermé pour aller sur la voie publique. Tout peut arriver." 

Dans sa cellule, Igor bouillonne

Pour Alban, c'est aussi le caractère exceptionnel de ces "sorties" qui rend le métier passionnant, bien que contraignant - il implique une grande disponibilité horaire en semaine, quand les audiences durent jusqu'au milieu de la nuit, et parfois-même le week-end. Mais peu importe. "Dans les murs, on a plus d'une centaine de détenus à l'étage et on n'a pas le temps de voir pourquoi ils sont là", souligne-t-il. "Aux escortes on a un peu plus de temps, et comme on fait de la présentation, on voit vraiment le déroulé de toute la chaîne pénale."

Arrivé au tribunal sans encombre, Igor patiente lui dans une geôle, avant d’être présenté à la juge des libertés et de la détention. Son avocat n’a pas fait le déplacement et son mandat de dépôt est renouvelé pour six mois en quelques minutes seulement. Il bouillonne. Alors l'escorte accélère : plus vite il remontera dans le véhicule, moins il ne tournera en rond dans la cellule du dépôt. Et moins la tension du retour sera élevée. 

50 pôles d'extraction et 1.800 agents fin 2019

Qu'elles soient réalisées pour des transferts entre prison et tribunal ou des permissions spéciales, comme pour les enterrements ou les reconstitutions de crimes, les extractions judiciaires étaient réalisées par la police et la gendarmerie jusqu'en 2011. Progressif, le transfert de compétences a été chaotique : pas assez nombreux, les agents pénitentiaires demandaient de l'aide aux forces de l'ordre, qui refusaient. En Bretagne ou en Normandie, cela avait même conduit à la libération de plusieurs détenus qui n'avaient pas pu être présenté aux magistrats dans des délais légaux. A noter que les extractions médicales sont toujours réalisées par d'autres équipes, non armées. 

Selon la Chancellerie, ce transfert devrait être totalement achevé fin 2019, avec 1.800 agents au sein de près de 50 PREJ, pour assurer plus de 80.000 demandes d'extraction annuelles. Dimanche, ces "escortes" avaient été symboliquement choisies pour participer au défilé du 14-Juillet sur les Champs-Elysées, au côté des militaires, des gendarmes et des policiers.