Terrorisme : comment définir une victime psychologique ?

François Hollande a annoncé lundi une réforme du système d'indemnisation des victimes du terrorisme, lors d'une cérémonie en leur hommage empreinte d'émotion.
François Hollande a annoncé lundi une réforme du système d'indemnisation des victimes du terrorisme, lors d'une cérémonie en leur hommage empreinte d'émotion. © AFP
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Deux mois après l’attentat de Nice, la secrétaire d’État chargée de l’Aide aux victimes a promis que les « victimes blessées psychologiquement seront indemnisées ». Oui, mais à quelles conditions ?

Les images sont encore dans toutes les têtes. De Charlie Hebdo à la Promenade des Anglais, en passant par le Bataclan et Saint-Étienne-du-Rouvray, les attentats qui ont touché la France ces deux dernières années ont fait 238 morts. Des scènes tragiques qui hantent encore leurs témoins directs ou indirects.

À Nice, le soir du 14 juillet, 30.000 personnes étaient présentes sur la Promenade des Anglais, quand un camion a foncé dans la foule, tuant 86 personnes. Pour celles qui n’ont pas été physiquement atteintes, la blessure psychologique reste néanmoins profonde. Sur Europe 1, à l’occasion de la cérémonie d'hommage aux victimes du terrorisme, la secrétaire d’Etat chargée de l’Aide aux victimes, Juliette Méadel, a promis lundi que "les victimes blessées psychologiquement seront indemnisées". Mais quels critères doivent-elles remplir pour prétendre à une indemnisation ?

  • Être dans la "zone de danger"

"Il est naturellement attendu qu’elles aient été sur le trajet du camion", explique Juliette Méadel. "Si l’on reconnaît que 30.000 personnes, même à deux kilomètres du camion, ont été victimes, c’est dévaloriser celui qui a une réelle souffrance", souligne-t-elle au micro d’Europe 1. Ce critère de "zone de danger" a été mis en place en septembre dernier par le Fonds de garantie des victimes des actes de Terrorisme et d'autres Infractions (FGTI). Dans le cas de Nice, cette zone "inclut dans toute leur surface le trottoir et la voie de circulation empruntés par le camion meurtrier".

"C’est là que ça commence à déconner gravement", juge Stéphane Gicquel, le secrétaire général de la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs (Fenvac). "Le traumatisme peut naître de la vision d’horreur que certains ont pu avoir à quelques mètres de là", conteste-t-il. "On ne peut pas se positionner dans une approche collective. Le traumatisme naît d’une subjectivité qui est celle de voir la mort des autres et d’être confronté à sa propre mort". "Dès l’instant où vous êtes présent sur les lieux, il y a un traumatisme", avance également Alexis Lebrun, porte-parole de l’association "Life for Paris", qui défend les victimes des attentats de novembre 2015. "Mais comme on veut éviter les fraudes, on a tendance à filtrer."

  • Avoir des preuves de sa présence

C’est aussi la raison pour laquelle le fonds d’indemnisation requiert un certain nombre de preuves à fournir de sa présence sur les lieux au moment du drame : textos, appels, factures, photos, réservations d’hôtel ou places de concert en ce qui concerne le Bataclan… "Mais beaucoup de dossiers sont refusés au nom de la preuve impossible à fournir", regrette Stéphane Gicquel. Dans le cas des blessures psychologiques, ces personnes peuvent également faire établir leur préjudice par un examen psychiatrique ou au moyen d'un dépôt de plainte dans un commissariat. "On est dans une logique d’étranglement. Pour déposer plainte à Nice, il y a un mois et demi d’attente", souligne encore le juriste.

Entendu sur europe1 :
" Souvent, quand on n’a pas été blessé physiquement, (...) on ne se sent pas légitime à demander de l’aide. "

Cette procédure, longue et souvent éprouvante - devoir apporter des preuves "rajoute à la souffrance", selon Alexis Lebrun – peut ainsi décourager un grand nombre de victimes. Notamment celles touchées par le "syndrome du rescapé". "Souvent, quand on n’a pas été blessé physiquement, on se dit ‘je n’ai pas à me plaindre’, et on ne se sent pas légitime à demander de l’aide", explique le secrétaire général de la Fenvac. "Beaucoup ne sont pas hyper à l’aise avec l’idée de recevoir de l’argent", confirme le porte-parole de "Life for Paris".

  • À quoi peuvent-elles prétendre ?

Si une première provision est généralement versée dans un délai d'un mois, les victimes risquent également d'attendre plusieurs mois avant de recevoir le montant total. L'indemnité définitive, adaptée à leur situation, n'arrivera que plus tard : seule une expertise médicale et psychologique détaillée permet d'évaluer l'ampleur du préjudice des rescapés. "Les victimes, blessés et/ou témoins du drame" pourront cependant bénéficier "sur la base d’une prescription délivrée par leur structure d’accueil, de forfaits de dix séances auprès d’un psychologue, remboursées chacune à 50 euros", a fait savoir par voie de communiqué Marisol Touraine, le 14 septembre dernier. "Pourquoi dix séances, pourquoi 50 euros ?", s’interroge Stéphane Gicquel.

  • Des conditions vouées à évoluer

Réminiscence d’images, de bruits, la blessure psychologique met en effet du temps à cicatriser, lorsqu’elle cicatrise. "Personnellement, c’est toujours très présent, même dix mois après", confie Alexis Lebrun, qui insiste sur la nécessité de rendre la procédure "plus humaine". "Il faut que ça change", assène-t-il.

En réponse à ces nombreuses requêtes, François Hollande a annoncé lundi une réforme du système d'indemnisation des victimes du terrorisme, lors d'une cérémonie en leur hommage dans les jardins de l'Intendant aux Invalides. Le FGTI, "créé il y a 30 ans", ne peut "plus rester en l'état", a assuré le président de la République, qui a plaidé pour une indemnisation plus "juste" et "transparente" à l’avenir, avant d’ajouter : "une fois le pire advenu, l'État doit être exemplaire dans ses réponses, dans ses procédures et dans ses réactions".