Alice Coffin livre son interprétation du concept de sororité

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Mathilde Durand
Dans "Sororité", un recueil de textes publié chez Points, quatorze autrices racontent leur définition de ce concept utilisé dans les mouvements féministes. Sur Europe 1, Alice Coffin, autrice, élue écologiste et militante, évoque son expérience et tente d'expliquer les "rivalités construites" entre les femmes. 
INTERVIEW

Alliance, pacte de "non-agression", respect : que se cache-t-il derrière le concept de sororité, redécouvert par le grand public depuis le mouvement #MeToo ? Dans l'ouvrage Sororité, paru le 8 avril chez Points, quatorze autrices aux profils différents, dont Lauren Bastide, Juliette Armanet, Jeanne Cherhal, Fatima Ouassak ou encore Ovidie, proposent leur définition personnelle de ce concept. Un recueil de textes, sous la direction de Chloé Delaume, auquel a participé Alice Coffin, journaliste, autrice, militante féministe et élue écologiste au conseil de Paris. Sur Europe 1, elle revient sur son expérience de ce concept, longtemps "invisibilisé".

La neutralité au centre de sa réflexion

"On l'entend assez rarement, cela a été très invisibilisé alors même, et particulièrement en France, qu'on voit bien ce que veut dire la fraternité puisque c'est aux frontons de nos édifices", note Alice Coffin. Sa définition de la sororité se rapproche de celle de Gloria Jean Watkins, féministe connue sous son nom de plume bell hooks. "En régime patriarcal, dans une société dominée par les hommes, le lien entre les femmes est vécu comme un acte de trahison. Tout est fait pour, précisément, que les femmes ne montrent jamais de solidarité et au contraire se construisent en rivales", explique-t-elle.

"Qu'est-ce qui se passe si tout à coup, on fait preuve de sororité, c’est-à-dire d'une alliance, d'un respect, d'un pacte de non-agression ?", s'interroge-t-elle. "Cela peut prendre des formes très diverses et c'est ce qui est raconté dans ces textes. Est-ce que cela ne devient pas un outil très intéressant pour lutter contre le patriarcat ?"

Face à ce concept, certains critiques dénoncent une volonté de diviser la société. Un faux débat pour l'autrice. "Dès qu'on parle de sororité, on a l'impression que c'est un concept de scission. Sauf que c'est une inversion assez vicieuse des choses : s'il y a une nécessité pour les femmes de mettre en place des outils d'alliance et de regroupement, c'est bien parce qu'on les a placés, depuis des siècles, en situation d'oppression, de discriminations", répond-t-elle. Voyant dans la sororité une "tentative de réaction, de résistance face à une situation donnée", elle place la neutralité au centre de sa réflexion. "A partir du moment où l'on se met à défendre les femmes, on en vient à nier quoi que ce soit de l'humanité. Alors que tous les regroupements masculins sont vus comme quelque chose qui s'impose pour la défense de tous, sans distinctions", pointe-t-elle. 

Des rivalités construites

Pour développer sa vision du concept, suite à l'appel de Chloé Delaume, Alice Coffin a décidé de s'intéresser, dans une démarche militante, aux obstacles qui empêchent cette sororité, notamment en s'interrogeant sur les femmes qui attaquent d'autres femmes dans l'espace public. Pour cela, elle a utilisé les critiques publiques émises par d'autres femmes sur son dernier ouvrage Le génie lesbien. Elle a ainsi contacté différentes personnalités telles que Anne Hidalgo, Marlène Schiappa ou encore Sonia Mabrouk pour en discuter, chacune apportant une réponse personnelle. 

S'il est parfois difficile de percevoir une autre femme comme une sœur, c'est en raison de rivalités construites, fortement ancrées dans l'imaginaire collectif et largement utilisées dans les produits culturels, selon l'élue écologiste. Les femmes, "souvent cantonnées aux espaces privés, à la sphère de la domesticité", ont également eu moins d'occasions de se rassembler à travers les époques.

Des rivalités construites et historiques qui sont d'ailleurs largement exploitées par les médias ou le champ politique, explique-t-elle. "J'essaye de tout faire pour ne pas donner du grain à moudre à ça". "J'ai pour principe de ne pas attaquer une femme, notamment en responsabilités publiques, parce que les femmes sont nettement plus attaquées que les hommes", explique l'autrice et militante. Un principe qu'elle applique notamment sur les réseaux sociaux, où les personnalités publiques féminines sont des cibles de choix, mais qu'elle affirme être personnel. "Je n'ai pas d'injonctions à donner, si les femmes n'ont pas envie de faire ça, je n'oblige personne".