Rougeole : comment la France est devenue un "mauvais élève"

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Margaux Lannuzel avec AFP , modifié à
L'Hexagone fait partie des pays responsables de l'augmentation mondiale du nombre de cas recensés en 2018, notamment du fait d'allégations reliant le vaccin à l'autisme.
ON DÉCRYPTE

"L'organisation mondiale de la santé (OMS) nous regarde désormais comme une bizarrerie". Le diagnostic vient de la ministre de la Santé elle-même, interrogée par Le Parisien à propos de la rougeole. "On est le pays de Pasteur, et pourtant on nous considère comme un mauvais élève, capable de propager le virus dans le monde", poursuit Agnès Buzyn, deux jours après la publication d'un communiqué de l'Unicef pointant la recrudescence mondiale de la maladie. Aux côtés du Brésil et de l'Ukraine notamment, la France fait partie, selon l'agence des Nations Unies pour l'enfance, des dix pays responsables de 75% de l'augmentation totale du nombre de cas recensés en 2018. Comment en est-on arrivés là ?

288 personnes touchées depuis début janvier. Pour Agnès Buzyn, le cri d'alarme de l'Unicef n'est pas vraiment une surprise. "Je savais que la France était un territoire à risque", explique-t-elle au Parisien, citant le nombre de cas recensés sur le territoire depuis le 1er janvier - 288 -, dont au moins 73 ont dû être hospitalisés. La ministre évoque également le cas d'un enfant français qui a déclaré le virus mi-février lors d'un voyage au Costa Rica, où le dernier cas de rougeole autochtone remonte à… 2006. "Cela montre bien le risque d'exporter la maladie", estime-t-elle.

 

Comme l'OMS et l'Unicef, la ministre pointe une cause principale : les craintes d'une partie de la population vis-à-vis du vaccin contre le virus. "La plupart des pays du Nord, où il n'y a pas de défiance vis-à-vis du vaccin, ne sont pas touchés par ces épidémies", souligne-t-elle, rappelant qu'une seule personne malade "peut en contaminer vingt". Selon le ministère de la Santé, l'enfant français malade au Costa Rica n'était pas vacciné et ses parents - dont le statut vaccinal n'a pas été précisé - ont également été touchés par le virus. Après trois semaines passées en quarantaine, la famille a été autorisée à sortir de l'hôpital, ont annoncé les autorités sanitaires costaricaines, vendredi dernier.

Les individus non vaccinés en première ligne. De fait, selon Santé Publique France, 89% des cas de rougeole signalés entre novembre 2017 et août 2018 dans l'Hexagone ont touché des sujets non ou mal vaccinés - deux injections sont nécessaires. Or en 2017, seuls 79% des nouveaux-nés recevaient ces deux doses. Selon l'Agence nationale de Santé publique, la couverture vaccinale devrait atteindre 95% pour permettre d'envisager une éradication de la maladie infectieuse.  

 

Un bond de la rougeole en 2018

Selon l'OMS, le nombre de cas a augmenté d'environ 50% dans le monde entre 2017 et 2018, faisant 136.000 morts. En France, l'augmentation a été de 2.269 cas d'après l'Unicef. C'est moins qu'au Brésil (10.262 cas, contre zéro en 2017) et qu'en Ukraine, où l'explosion est la plus forte : 35.120 malades recensés, soit environ 30.000 de plus qu'en 2017. Selon l'OMS, "la principale raison" de l'échec dans la vaccination des enfants reste que ceux "qui en ont le plus besoin (...) n'ont pas accès au vaccin". Mais l'organisme classe "l'hésitation à l'égard du vaccin" parmi les 10 principales menaces pour la santé mondiale les plus pressantes en 2019. 

Pourtant, la situation de la France n'a pas toujours été celle-ci. "Il y  a encore 20 ou 30 ans, notre taux de vaccination était tout à fait suffisant", pointe Agnès Buzyn. "Comme beaucoup de pays, la France a subi les campagnes de désinformation et elle y a été visiblement très sensible." Une référence aux allégations reliant le vaccin contre la rougeole (le vaccin combiné ROR) à l'autisme, nées en 1998, lors de la publication d'une étude controversée dans la revue The Lancet, retrace Le Monde. Basée sur l'étude de douze patients seulement, cette étude a été contredite par toutes celles qui l'ont suivie. Mais ces conclusions ont été largement partagées sur les réseaux sociaux, notamment par des membres du mouvement "anti-vax".

Vaccin obligatoire et phénomène de "rattrapage". Le caractère obligatoire du vaccin ROR, entré en vigueur le 1er janvier 2018 pour les nouveaux-nés, changera-t-il la donne ? Interrogé par France 3, le chef du service pédiatrie générale à l'AP-HP, Emmanuel Grimpel, pointe qu'une génération d'enfants est passée entre les mailles du filet : "tous les sujets qui n'ont pas été rattrapés n'ont pas été vaccinés, et c'est ce rattrapage-là qui serait indispensable". Auprès du Parisien, Agnès Buzyn compte, elle, sur une sensibilisation des familles au sens large et affirme que les professionnels de santé ont déjà observé "un rattrapage progressif de la vaccination" : "les parents qui ont des nourrissons et qui doivent donc maintenant être obligatoirement immunisés ont pris conscience qu'il n'y avait pas de raison de ne pas le faire avec leurs autres enfants, plus âgés."

Les personnes nées avant 1980 et les premières campagnes de vaccination ne sont pas concernées : la prévalence du virus avant cette date implique qu'ils ont forcément, à un moment, été en contact avec la maladie et développé une immunité "naturelle". Pour les autres, deux doses de vaccin sont toujours nécessaires, selon l'OMS.