Pédophilie dans l’Eglise : un procès hautement symbolique à Orléans

cathedrale, orléans
La cathédrale d'Orléans. © Capture Google street view
  • Copié
Salomé Legrand , modifié à
Mardi s'ouvre à Orléans le procès du silence de l’Eglise au sujet de la pédophilie de certains prêtres. Sur le banc des prévenus, côte à côte, un prêtre accusé de pédophilie et son évêque poursuivi pour n’avoir pas dénoncé les faits.

C’est la deuxième fois de l’histoire en France qu’un évêque est renvoyé en correctionnelle pour ce type de faits. La première remonte à 2001, avec le procès de Monseigneur Pierre Pican, évêque de Bayeux, condamné à trois mois d'emprisonnement avec sursis. Monseigneur André Fort, évêque d’Orléans de 2002 à 2011 comparaît mardi devant un tribunal correctionnel à côté de l’abbé Pierre de Castelet qu’il aurait couvert, malgré les nombreux témoignages l’accusant d’actes pédophiles. Les faits datent de 1993. Lors d’un camp du mouvement eucharistique des jeunes (MEJ) à Arthez-d’Asson (Pyrénées-Atlantiques), plusieurs adolescents de 11 à 13 ans se plaignent d’attouchements de la part de l’abbé Pierre de Castelet, 44 ans à l’époque. Le prêtre, qui n’est pas médecin, leur fait passer des visites médicales durant lesquelles il les caresse avec insistance. 

 

Monseigneur Fort absent du procès. L’évêque André Fort sera absent à son procès. Renvoyé devant le tribunal pour n’avoir pas dénoncé les agissements d’un prêtre pédophile, il a envoyé un certificat médical lundi. D’après son avocat, il est "souffrant" après une intervention chirurgicale récente. 

Les "stratégies" du prêtre pour se retrouver seul avec les ados. D’après les éléments de l’enquête qu’Europe 1 a pu consulter, le prêtre avait quasiment "élu domicile dans cette infirmerie de 10 m2", et mettait également en place des "stratégies" pour se retrouver seul avec les adolescents lors de balades en forêt ou pour des baignades. Au cours du camp lui-même, les faits sont dénoncés par des animateurs. Un responsable du MEJ est alors dépêché sur place, il réaffecte le père de Castelet à l’encadrement d’un camp avec des adolescents plus âgés. Le prêtre a reconnu les faits devant les enquêteurs puis le juge d’instruction, expliquant qu’il éprouvait "un besoin d’intimité et de douceur" avec certains enfants. L’expert psychiatrique est sans appel : "Le sujet ne témoigne pas de culpabilité" et amoindrit la gravité de ses actes, estime-t-il, le plaçant "du côté de la perversion psycho-sexuelle". Agé de 69 ans aujourd’hui, il encourt jusqu’à 10 ans de prison. 

Un dossier chargé au diocèse. Des années plus tard, confronté à des actes pédophiles commis sur des jeunes qu’il accompagne comme éducateur, Olivier Savignac, l’une des victimes, remonte la trace de son agresseur. Et tombe sur des photos de Pierre de Castelet encadrant des jeunes scouts d’Europe. A l’été 2010, avec deux animatrices de l’époque qu’il a retrouvées, il finit par écrire à l’évêque d’Orléans en poste : Monseigneur André Fort. Ce dernier le reçoit et lui sort le dossier du diocèse concernant l’abbé de Castelet : plusieurs dénonciations, témoignages et familles reçues entre 1993 et 2002, et sur la base desquelles ses prédécesseurs n’ont pris aucune décision ni envers la justice, ni envers le prêtre. L’évêque omet d’évoquer la lettre envoyée en 2007 par Philippe C., autre victime du camp d’Arthez-d’Asson, aujourd’hui partie civile au procès. Pourtant, depuis 2001, l'Église a adopté une nouvelle doctrine encourageant la dénonciation de ces faits, soit à la justice, soit à Rome. 

"Il protège Pierre de Castelet qui est resté 18 ans, jusqu’en 2011, au contact de jeunes scouts". "Il protège activement Pierre de Castelet, me dit qu’il n’a pas été inquiété sur le plan judiciaire mais que par contre, ses prédécesseurs et lui-même ont tenu à l’éloigner de tout contact individuel avec des jeunes", se remémore Olivier Savignac. Qui s’insurge : "Il ment ! Il protège Pierre de Castelet qui est resté 18 ans, jusqu’en 2011, au contact de jeunes scouts et animait aussi des ateliers radio chez lui avec des jeunes seuls qui venaient le mercredi après-midi et les week-ends". 

André Fort, aujourd’hui 83 ans, est finalement renvoyé pour non-dénonciation. La justice estime qu’il a "participé à la dissimulation d’agissements pédophiles en ne portant pas les faits à la connaissance de la justice, préférant préserver la réputation et l’image de l’Eglise". Lui rétorque qu’il ne connaissait pas l’obligation de rapporter ces faits. Il encourt 3 ans de prison et 45.000 euros d’amende.  

Au moins trois autres victimes n'ont pas porté plainte. Trois victimes sont parties civiles dans ce dossier mais durant l’enquête les gendarmes en ont interrogé au moins trois autres qui n’ont pas voulu porter plainte. En 2011, Pierre de Castelet intervient même dans une conférence diocésaine sur la pédophilie. Il faut attendre l’arrivée d’un nouvel évêque cette année pour changer la donne. A nouveau destinataire d’une lettre d’Olivier Savignac, Monseigneur Jacques Blaquart transmet le dossier à la justice cinq jours exactement après avoir reçu le courrier, d'où cette enquête qui aboutit à un procès, 25 ans après les faits. 

Dans le diocèse d’Orléans, à la fois premier à avoir ouvert une cellule d’écoute en 2014 et en même temps terre de catholicisme traditionnaliste et conservateur, nombre de paroissiens sont réticents à cette libération de la parole, par crainte d’abîmer l’image de l’Eglise. Joint par Europe 1, Jean-Pierre Evelin, le porte-parole du diocèse espère que ce procès permette de "sortir de l’entre-soi dans lequel l’Eglise a été tentée peut-être de rester un peu trop", "pour pouvoir éviter que ça puisse se reproduire". "C'est un moment qui va vers plus de vérité, vers plus de lumière", ajoute-t-il. Olivier Savignac, qui avec son avocat Me Edmond-Claude Fréty a retracé le parcours d’un certains nombres d’autres prêtres, est persuadés qu’il y a d’autres victimes, abonde : "il y a des personnes qui savent des choses, elles doivent parler, c’est un devoir de citoyen mais aussi de conscience et d’éthique chrétienne".