"On n'est pas dans un monde messianique où l'école peut sauver la société"

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Mathilde Durand , modifié à
Anne Anglès est professeure d'Histoire-Géographie, comme son collègue assassiné vendredi, Samuel Paty. Son histoire a inspiré le film "Les Héritiers", en 2014. Sur Europe 1, elle revient sur la place de l'école dans la société mais aussi celle des parents d'élèves.
INTERVIEW

En hommage à Samuel Paty, France 2 a diffusé le film Les Héritiers, sorti en 2014. Un long-métrage dans lequel une professeure inscrit une classe difficile à un concours national sur la déportation et la résistance. Anne Anglès, professeure d'Histoire-Géographie et agrégée d'Histoire dans un lycée parisien, est l'enseignante qui a inspiré le personnage du film. Mercredi, elle était à la Sorbonne pour rendre hommage à son collègue, assassiné après un cours sur la liberté d'expression. Au micro de Patrick Cohen, sur Europe 1, elle revient avec émotion sur le drame qui a secoué le monde de l'enseignement et rappelle la place de l'école dans la société.

"Un espace de réflexion", pas un "sanctuaire"

"Cette cérémonie a été marquée par un chagrin immense. Ces mots écrits Liberté, Egalité, Fraternité, projeté avec une écriture d'enfant, cette photographie qui renvoyait à la photographie humaniste, c’est-à-dire qui le restituait dans sa salle de classe, en noir et blanc, dans son humanité, le regard qu'il posait sur ses élèves, ses mains ouvertes pour transmettre, c'était très beau", souffle-t-elle. "Cette famille soudée et tellement effondrée, c'était bouleversant."

Durant la cérémonie, le président de la République a rendu hommage à Samuel Paty et à son métier d'enseignant. Des mots fédérateurs, salue Anne Anglès, qui tient à resituer la place de l'école dans la société. "Je ne sais pas si l'école peut sauver la société, je crois qu'il ne faut pas lui demander cela, ce n'est pas sa mission. On n'est pas dans un monde messianique où l'école peut sauver la société", explique-t-elle. "L'école a déjà le privilège d'être un endroit où l'on construit ensemble du savoir et des connaissances et c'est déjà immense. C'est un espace de réflexion, qui se veut aussi serein que possible, mais cela n'a jamais été un sanctuaire non plus".

Un travail de concert entre professeurs et parents d'élèves

Anne Anglès a pu être confrontée à des situations parfois délicates face à ses élèves, relatées dans Les Héritiers, mais tente de faire la part des choses. "Il ne faut pas renoncer à la culture, au savoir. Il faut accepter de faire un pas de côté parfois, mais aussi parfois y aller". "Je crois qu'il faut séparer ce qui s'exprime dans la salle de classe de ce qui est porté par des gens qui n'assistent pas au cours", ajoute-t-elle, revenant sur le rôle des parents. "L'école ne peut pas se faire sans le soutien des parents. L'élève est éduqué par différentes instances, il faut réussir à travailler ensemble."

"L'école est parée aujourd'hui d'attentes énormes de la part des familles. Elle devrait tout régler, c'est le tremplin, c'est la solution", explique la professeure. "A Créteil, quand j'ai travaillé avec les parents, j'ai très rarement été remise en cause. Les parents que j'ai rencontrés, quelles que soient leurs origines, leurs niveaux de revenus, leurs manières de s'habiller, sont des parents qui ont toujours été solides, qui nous soutenaient, qui nous présentaient comme ayant autorité."

L'enseignante cosigne une tribune dans Libération soulignant sa volonté de poursuivre sa profession intitulée "Moi professeur, le 2 novembre, je n'aurais qu'une idée en tête : continuer". "La majorité de nos élèves sont effrayés par une telle violence", souligne Anne Anglès. "Il va falloir qu'ils aient la possibilité de manifester leur tristesse, leur empathie, leurs interrogations comme ils l'ont fait au lendemain du 15 novembre".