Les jeux de société, ou le reflet parfait de notre civilisation

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Juliette Moreau Alvarez
Les jeux de société, un divertissement vieux comme le monde. Depuis des millénaires, il nous divertit mais aussi nous éduque. Il permet de nous apprendre les pratiques sociales propres à notre société, à travers des sujets comme l'économie, l'art, la religion ou encore la guerre. Zoom sur l'histoire de ces jeux pleins de valeurs plus ou moins cachées.

Chaque année, environ 1.200 nouveaux jeux de plateau prennent vie. En 2021, 30 millions de boîtes ont été vendues en France, témoignant de l'engouement sans faille de la population envers ce divertissement. Et si les jeux de société n'ont jamais connu de pénurie de joueurs, c'est bien parce qu'ils évoluent en même temps que les civilisations. Ce n'est pas anodin que les jeux se disent "de société". Plus qu'un moyen de se détendre, les jeux sont également le reflet des pratiques sociales et de la civilisation dans laquelle ils sont créés et produits.

Face à Dimitri Pavlenko, Élisabeth Belmas, professeure émérite d’histoire moderne à l'Université Paris XIII et secrétaire générale du Groupement d'Intérêt Scientifique "Jeu et Sociétés" et Dominique Desjeux, anthropologue et professeur émérite à la Sorbonne expliquent comment les jeux sont devenus une mine d'informations archéologiques. En parlant d'enfance, de loisirs, d'éducation, d'art, mais aussi de religion, d'économie ou de la mort, les jeux sont ancrés dans nos relations sociales.

Le miroir des croyances et évolutions sociales

Par exemple, entre 200 et 400 avant JC, le jeu de saynètes avait le vent en poupe, note le bien nommé Dominique Desjeux. Créé en 2500 avant notre ère, c'est un mixte entre le jeu de l'oie et le jeu d'échecs. Il a beaucoup été joué pendant la grande période des pharaons égyptiens et amenait le joueur en enfer ou dans l'au-delà. Un enjeu très ancré, justement, dans la mythologie égyptienne. "Le jeu a à voir avec le hasard, avec la mort, avec la santé, et pour moi, c'est la base de l'histoire des jeux", résume l'anthropologue au micro d'Europe 1.

Un autre jeu égyptien évoque la forme d'un jeu de l'oie, où un serpent est enroulé sur lui-même : c'est le Mehen. "C'est d'autant plus important au point de vue symbolique, que le serpent est un animal avec des forces telluriques", souligne Élisabeth Belmas. "Donc oui, les jeux révèlent infiniment de choses sur les sociétés et leur évolution en dit long également sur les transformations sociales."

Le jeu trouve ainsi une fonction dans chaque société. Le passage du polythéisme au monothéisme se ressent dans les façons de jouer par exemple, tout comme les évolutions techniques et technologiques. Selon la professeur émérite Élisabeth Belmas, si sa première fonction est de divertir, il sert aussi à éduquer la société, "à apprendre le respect de l'autre, à partager". On peut citer le jeu antique qu'évoque Platon, utilisant des cubes et contenant "toute une série de valeurs utiles à l'éducation".

L'enjeu des jeux de guerre

Au Moyen-Âge au Xe siècle, les échecs envahissent l'Europe. Un moment important dans le développement du jeu tel que nous le connaissons aujourd'hui. Plus tard, au XVIIe siècle, le jeu connait un réel tournant très important. À ce moment-là, les règles des principaux jeux auxquels nous jouons actuellement se fixent, notamment avec l'arrivée du jeu de cartes, un dérivé papier des échecs.

Les échecs, jeu de table le plus célèbre du monde, est considéré comme l'image de la société mais également de la guerre. Les pions s'affrontent, s'allient, jusqu'à ce qu'il ne reste d'un seul vainqueur. C'est le cas de beaucoup de jeux originaires d'Extrême-Orient et du Moyen-Orient. Le jeu de go par exemple, très ancien, permet de se socialiser et de se préparer à l'art de la guerre. Dans ce jeu, "il faut conquérir des territoires, coincer son ennemi, mais pas forcément l'éliminer", raconte Dominique Desjeux.

Monopoly, le jeu le plus vendu chaque année

Lorsque les sociétés capitalistes se sont développées et les guerres occidentales atténuées, arrive alors le Monopoly, encore aujourd'hui le jeu le plus vendu chaque année. "Les jeux reflètent la société", répète Élisabeth Belmas sur Europe 1. "Il est intéressant de voir que le Monopoly a été créé après la grande crise économique de 1929 et c'est un jeu qui est un emblème du capitalisme."

Aujourd’hui, le jeu de société est devenu une véritable industrie, qui a connu un souffle de renouveau avec le confinement et la crise Covid. C’est également le cas du jeu vidéo, qui lui est peut-être le fruit de notre société actuelle, où la technologie est placée au cœur de notre développement.