Hervé Temime 3:41
  • Copié
Dans "Secret défense", le pénaliste Hervé Temime loue l'utilité du secret dans l'exercice du métier d'avocat, "une valeur qui défend l'intérêt général de la justice". Sans pour autant que cette notion "cardinale" ne fasse reculer le concept de vérité. Explications au micro de Patrick Cohen, sur Europe 1, jeudi.
INTERVIEW

"Ce sont des valeurs que je place, comme avocat mais aussi à titre personnel, pratiquement au dessus de toutes les autres" : sur Europe 1, jeudi midi, Me Hervé Temime est venu évoquer son dernier livre, Secret défense (avec la journaliste Marie-Laure Delorme, aux éditions Gallimard). Comme son nom l'indique, cet ouvrage est un plaidoyer contre la transparence qui aurait, selon le célèbre pénaliste, envahi la sphère publique, au point de polluer le fonctionnement de la justice. Il s'en explique au micro de Patrick Cohen.

Le secret, "allié de la justice"

"C'est une valeur essentielle et cardinale", avance le ténor du barreau, qui conseille entre autres Bernard Tapie, Roman Polanski, Gérard Depardieu, Ladj Ly ou les laboratoires Servier. "Il n'y a pas de métier d'avocat ni de défense qui vaillent sans secret absolu. C'est le début de la relation entre quelqu'un qui a besoin d'un avocat et son avocat."

L'avocat prend l'exemple d'un ancien client qui lui avoua être payé pour assassiner une personnalité : "Il me donne le nom de la personne qu'il doit tuer, c'est horrible", raconte-t-il. "Là, je suis confronté à un cas de conscience épouvantable parce que je n'ai le droit de rien dire. Mais si cette personnes avait été tuée, le respect du secret m'aurait fait une belle jambe. Alors, j'ai appelé Henri Leclerc, déjà une espèce de conscience pour nous tous. Il me dit 'Écoute, tu n'as qu'une chose à faire, c'est écrire ce qui s'est passé, le déposer au bureau du bâtonnier et tu ne peux rien dire'. Et je n'ai rien dit. J'ai respecté le secret, la mort dans l'âme."

Pour Me Hervé Temime, le secret est avant tout "l'allié de la justice" : "C'est un droit, évidemment, pour la personne qui est défendue, mais c'est une valeur qui défend l'intérêt général de la justice, largement supérieure aux intérêts particuliers. Imaginez que je reçoive les confidences d'une victime qui me raconte des détails absolument terrifiants de son intimité, de sa vie. Est-ce que j'ai le droit de violer son secret ? Non. Est ce qu'elle peut m'autoriser à le faire ? Non. Quel intérêt suis-je en train de protéger en ne le faisant pas ? Son intérêt, certes, mais l'intérêt supérieur de la justice."

"Rapport ambigu" avec la vérité

Cet attachement viscéral au secret dans le monde de la justice s'accompagne-t-il d'une moindre importance accordée à la notion tout aussi large de vérité ? "Mon rapport à la vérité est un rapport extrêmement ambigu, je l'admets, parce que l'avocat n'a pas à rechercher la vérité et la plupart des avocats disent qu'elle ne les concerne pas. Moi, je vous dirais qu'elle m'intéresse bien sûr, mais mon rapport à elle n'est pas ce qui guide mon métier."

" Si je recherche la vérité, c'est que je veux vous juger. Et si je vous défends, je n'ai pas à juger "

C'est la raison pour laquelle l'un des avocats les plus demandés de France perçoit sa vocation comme "sulfureuse et passionnante". "Si je vous défends et que je recherche la vérité, c'est que je veux vous juger. Et si je vous défends, je n'ai pas à juger. Au contraire, j'ai à être votre dernier juge. Il y a beaucoup de gens qui sont incapables de cela." Faut-il cependant, pour être avocat, "manquer de vertu" ? "Non, au contraire, car je crois qu'il faut avoir une intégrité particulière pour être capable de cet exercice", répond Me Hervé Temime.

Quel "secret" face aux journalistes ?

Dans leur quotidien, les avocats côtoient souvent les journalistes qui suivent les affaires judiciaires. "On n'a pas du tout la même fonction mais les journalistes ont un secret des sources parfaitement protégé. C'est parfaitement nécessaire", analyse Me Hervé Temime, qui apporte un bémol. "Moi, je demande à ce que le secret professionnel des avocats soit aussi bien respecté que le secret des sources", demande-t-il, insistant sur la "lourde responsabilité" des journalistes de publier, ou pas, des informations sur des affaires en cours.

Pour illustrer son propos, Me Hervé Temime évoque une affaire concernant l'un de ses clients, Roman Polanski, visé par "une enquête du Parisien". "Quand on publie dans ces conditions, il faut qu'on fasse une enquête irréprochable", insiste-t-il à propos de cet article qu'il ne date pas, mais qui semble concerner les accusations de Valentine Monnier, rendues publiques en novembre dernier dans le quotidien. "Il faut qu'on laisse la moindre part au doute, car on sait qu'il n'y aura pas d'enquêtes policières ou judiciaires possibles dans des affaires prescrites. Là, la responsabilité des journalistes est énorme parce qu'ils se muent en quelque sorte en policiers et en juges, avec une opinion qui est très peu accessible à la contestation de l'accusation."