Immobilier 1280 4:31
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Maud Descamps, édité par Thibaud Le Meneec
Le fossé immobilier se creuse entre l'agglomération parisienne au marché en surchauffe et d'autres territoires français où les prix chutent d'année en année.
ENQUÊTE EUROPE 1

Comme un pays coupé en deux. D'un côté, les prix de l'immobilier à Paris ont été multipliés par trois depuis 2001, avec une moyenne de 9.500 euros le mètre carré. De l'autre, en dehors des agglomérations françaises, la valeur de l’immobilier est en chute libre depuis cinq ans, avec des baisses jusqu'à 20% observées dans certaines villes. 

À la source aussi de la colère des "gilets jaunes". Cet effondrement de l'immobilier est aussi l'un des éléments qui, à l'origine, alimentent la colère des "gilets jaunes". Les prix trop élevés dans le centre-ville ont en effet contraint de nombreux Français à vivre à plus de 20 kilomètres de leur travail, les obligeant à prendre leur voiture. Et pour ceux qui ont acquis un bien immobilier, on vient maintenant leur dire que leur maison à la campagne ne vaut plus rien. Dans la région de Troyes, dans l'Aube, où Europe 1 s'est rendu, certaines maisons se vendent ainsi à peine 50.000 euros. Pour les biens de plus de 100.000 euros, trouver des acquéreurs devient difficile, voire impossible.

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"Pas pu payer ma taxe d'habitation". Le cas de Patricia, 45 ans, illustre cette fracture immobilière. Chaque jour, depuis deux mois, cette femme qui travaille auprès des personnes handicapées depuis 28 ans retrouve ses amis "gilets jaunes" sur le rond-point à l'entrée de Troyes. Elle est aujourd'hui acculée financièrement : il y a deux ans, elle a perdu son compagnon. Impossible pour elle de rembourser seule l'emprunt immobilier. Contrainte de vendre sa maison, elle ne réussit pas à la vendre. "Là, actuellement, j'ai 900 euros en moyenne par mois et la banque me prélève 1.056 euros par mois pour payer la maison", constate-t-elle. "Alors, j'ai les 'gilets jaunes' qui m'aident beaucoup. Là, je n'ai pas pu payer ma taxe d'habitation. Mon conjoint est décédé dans cette maison. Chaque jour, je passe devant la pièce… Et moi, je veux un nouveau départ, partir, louer une maison."

Entendu sur europe1 :
Sur certaines zones de l'Aube, on a constaté une baisse de 10 à 20% du prix de vente sur les cinq dernières années

Des cas comme celui de Patricia, Nicolas Martinot, agent immobilier à Troyes, en a plein ses fichiers. Autre exemple : "Une maison de 210 m2 à 35 kilomètres d'ici, qui a trouvé preneur à un peu plus de 60.000 euros au bout de six mois", détaille le professionnel. "On est à 350 euros le mètre carré. Sur certaines zones de l'Aube, on a constaté une baisse de 10 à 20% du prix de vente sur les cinq dernières années, avec des ménages qui se retrouvent à devoir rajouter de l'argent au prix de vente pour pouvoir rembourser la banque et l'emprunt immobilier." Mais pour les ménages qui n'ont aucune réserve financière, il n'y a qu'une solution : conserver leur bien immobilier en espérant que les prix remontent dans quelques années.

Des Ardennes au Massif central. En attendant, les conséquences sont lourdes pour les propriétaires coincés avec un bien invendable. Pour certains, c’était le patrimoine qui devait assurer leur retraite, et quand il perd 20% de sa valeur et qu'en plus il devient impossible de le vendre, la désillusion est là. La situation qu'on observe dans l'Aube, on l'observe aussi dans d'autres zones de France, comme à Saint-Étienne, à Saint-Quentin, dans les Hauts-de-France, ou dans des territoires sinistrés appartenant à la "diagonale du vide" ou la "diagonale des faibles densités", qui court des Ardennes au Massif central.

La guerre de l'attractivité. Il n'y a pas vraiment de solution miracle pour redonner de l'attractivité à ces zones et relancer l'immobilier. Ces territoires bataillent pour essayer de survivre en attirant une grosse entreprise, en finançant la création d'une université ou en décrochant une zone franche, le tout étant le fruit d'une une âpre compétition. Dans cette configuration, les élus deviennent de véritables VRP pour leur ville. "La principale porte de salut est d'aller chercher la croissance là où elle se trouve", explique l'adjoint au maire de Troyes, Valéry Denis. "Pour nous, elle se trouve en Île-de-France. Notre métier est donc d'aller chercher une partie de cette richesse, soit sous forme d'entreprises qui vont d'installer chez nous, soit sous forme de travailleurs franciliens qui vont s'installer chez nous car ils y trouvent une très bonne qualité de vie." Pour ces territoires sinistrés, retrouver un certain dynamisme est le seul remède à la fracture immobilière.