Corse - GCC 1:47
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Frédéric Michel / Crédit photo : PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP , modifié à
La Corse sous la menace d’un nouveau groupe clandestin. Le mystérieux GCC - Jeunesse Clandestine Corse - (Ghjuventù clandestina corsa) serait à l’origine d’une quarantaine d’actions sur l’île depuis le mois de juillet 2022. Le dernier attentat, perpétré le week-end de Pâques, a visé la maison familiale d’une adjointe à la mairie d’Ajaccio.

Une dérive morbide ! Avec virulence le maire d’Ajaccio (Corse du Sud), Stéphane Sbraggia, condamne la multiplication des attentats sur l’île. Le dernier en date a ciblé la maison familiale de son adjointe à la culture, Simone Guerrini. Incendiée dans la nuit du 9 au 10 avril, la villa située sur la route des sanguinaires a été fortement endommagée. Pas de revendication pour l’instant mais un tag GCC, jeunesse clandestine Corse (Ghjuventù clandestina), a été découvert sur place. Un sigle, dont le C de jeunesse clandestine est inséré dans un logo, représentant une Corse stylisée, retrouvé sur plusieurs propriétés et biens publics visés par des attentats ces derniers mois sur l’île.

"On a perdu la boussole"

Le premier magistrat de la ville impériale, Stéphane Sbraggia exprime son incompréhension évoquant "un contexte déjà très tendu, où il y a de l’inquiétude et de la peur". L’élu dénonce certains discours qui se répandent sur l’île et des relents de fascisme. "Quand j’entends par exemple que ce bien était loué, qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que si demain on veut louer un bien qui nous appartient ou autre chose on a recours à ce genre de pratique, qu’on justifierait. On a perdu la boussole". 

Depuis près d’un an, dans le grand Ajaccio et en Plaine orientale (Haute-Corse), ce sont des maisons et appartements appartenant à des continentaux mais aussi des Corses qui ont été visés. Des engins de chantier ont été détruits et des bâtiments publics incendiés à Afa et Appietto (Corse du Sud), où la façade de la mairie a été endommagée par les flammes. Un acte découvert le dimanche 26 mars, trois jours après l’attentat perpétré à Afa. Dans la nuit du 22 au 23 mars, la porte de l’hôtel de ville avait été incendiée. Une bouteille de gaz retrouvée à quelques mètres. À chaque fois, les initiales GCC (Ghjuventù Clandestina Corsa - Jeunesse Clandestine Corse) ont été taguées.

"Ce n’est pas l’avenir que l’on souhaite à notre jeunesse"

Doit-on craindre la radicalisation d’une partie de la jeunesse Corse ? Cette jeunesse qui n’a pas connu la montée du FLNC (Front de Libération Nationale Corse) à la fin de la décennie 70. Le temps des mitraillages, nuits bleues, réunions clandestines en armes et en cagoules, au plus fort des années 1980. La guerre fratricide entre les différents mouvements nationalistes, entre 1995 et le début des années 2000, qui a fait une quinzaine de morts dans les rangs des militants. Ces jeunes n’étaient pas nés non plus, en 1998, quand par une nuit froide de février, un commando nationaliste abattait pour la première fois en France un Préfet de la République. Claude Erignac marchait seul dans une ruelle d’Ajaccio après avoir stationné son véhicule.

Quelques minutes avant il avait déposé son épouse dans une salle du centre-ville où ils devaient assister ensemble à un concert de musique classique. Le haut fonctionnaire a été lâchement abattu dans le dos. Condamné pour son assassinat, Yvan Colonna aura nié jusqu’au bout être l’auteur du crime. Cinq jours après la mort du Préfet, à Ajaccio 20.000 personnes manifestent contre la violence, ils sont presque autant à Bastia. Un record jamais égalé.

Pourtant, aujourd’hui encore, la page de la violence ne semble pas tournée et beaucoup d’habitants et élus politiques de tous bords s’inquiètent. "Ce n’est pas l’avenir que l’on souhaite pour notre jeunesse", insiste le maire d’Ajaccio Stéphane Sbraggia. "Je n’ai pas envie de voir des jeunes partir dans la clandestinité, commettre des actes terroristes ou criminels. On est très inquiet et oui ça me fait peur. Ce n’est pas le signe d’une société qui va bien", ajoute-t-il.

A deux pas de la mairie, entre les étals du grand marché de la ville, un Parisien installé depuis 20 ans sur l’île affirme ne pas avoir peur pour lui et sa maison mais avoue ne pas comprendre. "Le FLNC a vieilli, il est remplacé par des jeunes. Des jeunes qui vont refuser l’étranger, qui vont refuser que l’on construise ou que l’on occupe des maisons", souligne le Parisien.

"Ça va mal se terminer"

Attablé dans un café, qui fait face au port de plaisance, Tino Rossi, un quinquagénaire, déplore l’inaction de l’état. "Ils attendent quoi pour les arrêter, qu’il y ait des morts ? Il faut mettre le paquet pour les arrêter", déplore-t-il. Un sentiment partagé par différents acteurs insulaires qui redoutent une escalade. "La tension est palpable en Plaine orientale", raconte un journaliste de Corse Matin. Pour déjouer les attentats, titrait il y a quelques jours le quotidien régional, "des chantiers sont surveillés. Propriétaires et entrepreneurs s’organisent". "Ça va mal se terminer", s’angoisse une maman corse qui s’inquiète de l’évolution de la situation. "Ici beaucoup de gens possèdent des armes", reconnaît un homme qui accepte de parler hors micro. "C’est un pays de chasseurs et on a le sang chaud". 

Beaucoup redoutent le retour des années noires et une nouvelle guerre fratricide, alors que la plus grande confusion règne autour des actions revendiquées par le GCC. Dans un communiqué de trois pages, adressé à Corse matin le 11 avril 2023, ponctué de fautes de syntaxe et d’orthographe, les auteurs de la missive écrivent : "Un groupe d'imposteurs se sont fait passer pour des membres de notre organisation et ont revendiqué nos actions sans les expliquer ni même les comprendre". Le texte fait référence à un autre courrier reçu le 30 mars 2023 par nos confrères de Corse Matin, revendiquant les actions contre les mairies d’Afa et Appietto. 

La mise au point est assortie de menaces. "Nous condamnons fermement cet acte (la publication du 30 mars), si cela devait venir à se reproduire, le problème, ne sera plus réglé avec un simple communiqué… En ciblant les mairies nous attaquons directement l’état et les élus nationalistes qui n’ont su tenir leurs promesses".

Mais rien ne permet d’authentifier l’un ou l’autre communiqué. Dans ce dossier "explosif", on ne peut exclure que des individus mal intentionnés, utilisent l’argument de la lutte politique pour faire pression, exercer un racket, assouvir une vengeance personnelle ou même régler un conflit de voisinage. De même, on ne peut exclure une scission de ce nouveau groupuscule clandestin, dont les membres pourraient avoir des divergences sur les cibles ou la façon d’agir. Le flou est total.

En Corse, les langues ne se délient pas facilement. Des élus et citoyens ont peur de s’exprimer publiquement. Au micro d’Europe 1, un retraité Ajaccien, assis sur un banc de la place du diamant, soupir et lâche à voix basse : "On en a marre mais bon… ils disent que c’est pas eux, que c’est un autre groupe qui se fait passer pour eux, ils veulent tous être tout en haut de l’hémicycle".

Depuis 2015, l’autonomiste Gilles Simeoni est aux commandes du conseil exécutif de la collectivité unique de Corse. En 2021 lors des dernières élections territoriales, le fils d’Edmond Simeoni, figure tutélaire des nationalistes, a fait cavalier seul avec son parti Femu a Corsica (Faisons la Corse), se séparant notamment de ses partenaires du PNC (Parti de la Nation Corse), dont le chef de file est le maire de Porto-Vecchio Jean-Christophe Angelini, et de Corsica Libera (Corse Libre), le parti indépendantiste incarné par Jean-Guy Talamoni, président de l’assemblée de Corse lors des deux premiers mandats des nationalistes (2015 à 2021).

"Plus de 40 attentats attribués au GCC"

De sources judiciaires, depuis le 1er juillet 2022, date de la première action attribuée au GCC, le parquet national anti-terroriste (PNAT) a été saisi d’une quarantaine de faits, attribués à ce mystérieux groupe qui a officiellement  annoncé sa création début février 2023. Son mode opératoire est toujours le même. Les auteurs opèrent de nuit en utilisant des hydrocarbures pour mettre le feu aux différents biens visés. Il n’y a pas eu utilisation d’engins explosifs, confirme à Europe 1 une source judiciaire.

Autant d’éléments qui font dire aux spécialistes de ces dossiers que les attentats, commis depuis près d’un an, pourraient être l’œuvre de néophytes dans le domaine. Accréditant la thèse d’un groupe de jeunes clandestins qui, à la différence de leurs aînés, n’ont sans doute pas reçu une instruction militaire et encore moins de formation à la pratique et la maîtrise des explosifs. Des compétences que certains membres du FLNC avaient acquises lors de leur service militaire obligatoire, ou pour les plus aguerris lors notamment de leur participation aux guerres coloniales, voir leur allégeance à des mouvements comme l’OAS (Organisation Armée Secrète), organisation clandestine civilo-militaire opposée à l’indépendance Algérienne.

Dans leurs revendications, les membres du GCC dont on ignore le nombre et l’appartenance politique évoquent la langue Corse, le trafic de drogue qui gangrène l’île. Les inscriptions taguées sur les lieux de leurs attentats exhortent "les colons et spéculateurs" à partir. "Colons fora – Speculatori Fora" (Colons dehors, spéculateur dehors). Même si certains propos font écho au nationalisme Corse, rien ne permet de relier le GCC à un quelconque mouvement nationaliste.

"La mort d’Yvan Colonna a ravivé les tensions avec l’état"

Depuis l’agression mortelle d’Yvan Colonna à la prison d’Arles, en mars 2022, une soixantaine de faits ont donné lieu à une saisine du parquet national anti-terroriste. Des actions signées du GCC, FLNC ou non revendiquées. Dans ces dossiers à ce stade, aucune interpellation n’a été confirmée de sources judiciaires. L’assassinat d’Yvan Colonna avait ouvert, au printemps 2022, un cycle de violence que de mémoire d’insulaires on avait rarement connu. Des manifestations ont dégénéré à Bastia, Corte et Ajaccio. Un an après, les conclusions des différentes enquêtes diligentées sur la mort du berger de Cargèse sont très attendues, particulièrement sur l’île.

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Crédits : Frédéric Michel / Europe 1

Yvan Colonna a été assassiné par un individu radicalisé et psychologiquement instable. Franck Elong Abé était pourtant autorisé à travailler en prison. De nombreux Corses, appartenant très souvent à la très large famille nationaliste, ont crié au complot d’état. Dans cette affaire à tiroir, de nombreuses défaillances ont déjà été reconnues et le rapport de la commission parlementaire chargée d’enquêter sur la mort de l’assassin du préfet Claude Erignac, doit être rendu public un peu avant la fin du mois de mai prochain.

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Crédits : Frédéric Michel / Europe 1 - Bastia visite du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin en juillet 2022

C’est dans ce contexte que se poursuit le processus, sur l’avenir institutionnel de l’île. Interrompu à l’automne dernier, au lendemain du refus par la justice d’accorder un aménagement de peine aux deux derniers membres du commando ayant participé à l’exécution du haut fonctionnaire, le cycle de discussions, entre l’état et les élus corses de toutes obédiences, a repris le 24 février dernier après cette fois une décision favorable aux deux nationalistes corses emprisonnés depuis plus d’un quart de siècle.

Pierre Alessandri et Alain Ferrandi incarcérés au centre pénitentiaire de Borgo (Haute-Corse), bénéficient d’une autorisation de sortie journalière en semaine, pour travailler respectivement dans une entreprise d’espaces verts et chez un agrumiculteur. Ils regagnent leur cellule le soir. 

Dans son communiqué du 11 avril adressé à Corse Matin le GCC indique, "la semi-liberté d’Alain Ferrandi et de Pierre Alessandri a semblé rassasier les élus mais ce n’est qu’un simple droit qui aurait dû être respecté depuis 2017. La lutte doit impérativement continuer".