Jérôme Cahuzac, du silence assourdissant aux révélations fracassantes

Jérôme Cahuzac a été ministre délégué au Budget pendant un peu plus de dix mois, entre 2012 et 2013.
Jérôme Cahuzac a été ministre délégué au Budget pendant un peu plus de dix mois, entre 2012 et 2013. © LIONEL BONAVENTURE / AFP
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Caroline Politi , modifié à
Au premier jour de son procès, l’ancien ministre du Budget a confié avoir ouvert en 1992 un premier compte à l’étranger pour participer au financement du mouvement politique de Michel Rocard.
REPORTAGE

Depuis 13h30, heure de reprise de son procès devant la 32ème chambre du tribunal correctionnel de Paris, Jérôme Cahuzac semble presque absent. Pendant trois heures, l’ancien ministre du Budget, l’homme par qui le plus gros scandale du quinquennat de François Hollande est arrivé, n'a pas dit pas un mot. Fixant tantôt ses pieds, tantôt le plafond de la salle des Criées. S’enfonçant dans son siège à mesure que le président faisait le récapitulatif des faits reprochés : fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale et minoration de sa déclaration de patrimoine en entrant au gouvernement.

Mais à peine le président lui demande-t-il de s'avancer à la barre que l’ancienne étoile montante de la gauche change de visage et prouve qu’il ne compte pas être spectateur de son propre procès. Après trois ans de silence forcé, Jérôme Cahuzac est prêt à parler. Et à faire des révélations fracassantes. Pourquoi avoir ouvert un un premier compte en Suisse, en novembre 1992, l'interroge d'emblée le magistrat ? "Les premières sommes versées n’étaient pas le fruit de mon travail. C’était le financement d’une activité politique pour un homme dont j’espérais un destin national", confie-t-il d’une voix douce.

"La seule façon d’aider ne pouvait être qu’occulte". Le débit est lent, les mots sont choisis, Jérôme Cahuzac sait qu’il vient de provoquer un nouveau tsunami au sein du parti socialiste. Car l’homme dont il parle n'est autre que feu Michel Rocard, dont il est un fervent admirateur. Après avoir travaillé pendant trois ans dans le cabinet de Claude Evin, son ministre des Affaires sociales, Jérôme Cahuzac avait rejoint  son mouvement en 1991. Il est alors chargé de trouver des fonds. "Mais à l’époque, les contributions autorisées sont plafonnées", explique-t-il. "La seule façon d’aider ne peut être qu’occulte et parallèle." 

Jérôme Cahuzac raconte qu'avec l'accord de sa direction, il se tourne alors vers Philippe Péninque, "en qui j’avais confiance et qui savait faire" pour ouvrir un compte chez UBS. "Je savais parfaitement que ce que je m’apprêtais à faire était illégal." Mais à l’époque, assure-t-il, les financements occultes sont "banals", "tous les partis font ça". Et de nombreuses entreprises participent à ce système dans l’espoir d’obtenir des avantages plus tard. Le président veut des noms. Qui l’a autorisé à une telle manœuvre ? Jérôme Cahuzac reste mutique. "J’ai beaucoup hésité à parler, ce n’est pas simple." Il lâchera seulement qu’une fois le compte ouvert, les laboratoires Pfizer ont fait deux versements. De l’argent qui "ne pouvait pas venir des comptes officiels".

Spirale du mensonge. Jamais au cours de l’instruction, Jérôme Cahuzac n’avait évoqué une telle piste. A-t-il attendu le décès de Michel Rocard, cet été, pour donner sa vérité ? Il assure n’avoir jamais parlé de ce compte avec son ancien modèle politique tout en estimant que "cela ne nuira pas à son bilan". Derrière ces révélations, on ne peut s'empêcher de s'interroger sur une nouvelle stratégie de défense pour détourner l'attention du tribunal. "Vous avez menti à neuf reprises aux juges d'instruction. En avez-vous fait de même aujourd'hui?", le tance le procureur Jean-Marc Toublanc. "Non", lâche l'ancien politique d'une voix blanche. Pour la première fois, on le sent moins confiant. Son mensonge, explique-t-il, avait pour principal objectif de ne pas détruire ce qu'il a mis une vie à bâtir. 

"Quand l'article de Mediapart paraît, j'ignore qu'un document sonore existe." Pour lui, cette époque appartient au passé. Il a tout fait pour effacer ses traces à mesure que sa trajectoire politique s’envolait. Changement de banque en 1998, décision de rattacher le compte à une personne morale puis transfert des fonds à Singapour en 2009… Il croit sa couverture solide et dénonce avec vigueur être titulaire de comptes à l’étranger. Auprès des journalistes de Mediapart d’abord, puis devant les députés de l’Assemblée nationale qui l’interrogent. "En une minute cinq, une minute dix, je ruine dix ans de travail et ma vie car je pense qu'ils n'ont rien." Et d’ajouter : "Je savais que si la vérité sortait, j’allais tout perdre". Mais ses mensonges ont été vains. Quatre mois après les premières révélations, Jérôme Cahuzac est poussé à la démission puis passe aux aveux.

Assise derrière lui lundi, sa femme reste impassible. Vêtue d’un tailleur noir, les cheveux relevés en un sage chignon, elle fixe depuis la reprise des débats avec insistance le pied du pupitre, comme pour éviter que son regard ne s’égare. Elle n’a pas cillé lorsque son ex-mari et père de leurs trois enfants a fait sa révélation devant le tribunal, ni même lors de ses excuses à peine déguisées. "J’ai fait beaucoup de mal. À mes proches, à mes amis, à une partie des gens qui m’ont fait confiance", reconnaît-il. C’est d’ailleurs pour cette raison, explique-t-il, qu’il a souhaité tout prendre sur son dos. "J’ai décidé de ne plus faire de mal, j’ai tout pris sur moi." Jusqu’à aujourd’hui.