Gilles Kepel était l'invité d'Europe 1 Soir mardi. 2:35
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Séverine Mermillod , modifié à
Frédérique Vidal, ministre en charge de l'Enseignement supérieur, a déclaré mi-février que l'université était gangrenée par "l'islamo-gauchisme". Sur Europe 1 mardi, le politologue Gilles Kepel a estimé que la ministre a "lancé un pavé dans la mare", peut-être pas dans les termes "les plus adroits", mais que "le débat mérite d'être mené".
INTERVIEW

Mi-février, Frédérique Vidal, ministre en charge de l'Enseignement supérieur, a fait polémique en affirmant que la société était gangrenée par "l'islamo-gauchisme" et que l'université "n'était pas imperméable". Le politologue Gilles Kepel, s'il ne semble pas d'accord avec des "termes" qu'il juge ne pas être "les plus adroits", a expliqué sur Europe 1 mardi que la ministre a "lancé un pavé dans la mare" et que "le débat mérite d'être mené".

Il vient de publier un ouvrage, Le Prophète et la pandémie. Du Moyen-Orient au djihadisme d’atmosphère, dans lequel il explique notamment que "si on n'avait pas détruit les études arabes en France", le terme d''islamisme', qui dans notre vocabulaire désigne l'islam politique, n'aurait sans doute pas été traduit "par des journalistes et des relais d'opinion du monde musulman comme 'islamique' ou 'musulman'", faisant ainsi selon lui "de la France un pays islamophobe".

Prendre "un peu de hauteur"

Le politologue a déploré "beaucoup de lâchetés de tous les côtés". "Je crois que notre modèle universitaire en France souffre aujourd'hui d'un manque de dynamisme et de direction, même s'il y a des individualités extrêmement fortes. Et je crois que c'est un enjeu", a-t-il ajouté. "Frédérique Vidal a lancé un pavé dans la mare. Peut-être que les termes qu'elle a utilisés n'ont pas été les plus adroits. Mais en tout cas, je crois que le débat mérite d'être mené, peut-être en prenant un peu de hauteur par rapport aux bisbilles universitaires qu'on a vues cette dernière semaine et qui, je pense, ne maîtrisaient pas forcément vraiment tous les enjeux."

Il cite notamment son domaine de recherches, l'Islam et le monde arabe contemporain. "J'ai vu mon domaine, les études arabes, s'effondrer complètement, être sous-financées. On a fermé des masters un peu partout alors que c'est un enjeu majeur pour nous de connaître ce qui se passe dans le monde arabe", a dénoncé Gilles Kepel.

"L'idéologie a remplacé la connaissance"

Si lui ne prononce pas directement le terme "islamo-gauchisme", il dit avoir "remarqué, en tout cas", que "dans de nombreux établissements, c'est l'idéologie qui a remplacé la connaissance et qu'un certain nombre de crédits de postes sont affectés, pour cette région-là, pour des raisons idéologiques et non plus pour le développement de la connaissance et du savoir."

Il estime par ailleurs l'avoir personnellement "ressenti" : "J'ai été beaucoup attaqué, mis en accusation pour avoir fait mon travail par des individus qui se réclamaient de cette mouvance, c'est-à-dire qui s'imaginent que c'est à partir de la définition de la religion, de la race, du genre, etc, qu'on peut fragmenter les sociétés plutôt qu'à partir d'appartenance aux classes sociales". Gilles Kepel renvoie à ce sujet au livre (Race et sciences sociales) de ses collègues sociologue et historien Stéphane Beaud et Gérard Noiriel "qui analyse ce phénomène".