Fouilles à nu des détenus : faut-il revoir la législation ?

© MEHDI FEDOUACH / AFP
  • Copié
Anaïs Huet , modifié à
Excédés par l'insécurité qui règne dans leur prison, les gardiens de Fleury-Mérogis veulent pouvoir procéder plus facilement à des fouilles sur des détenus entièrement nus.

Ils veulent faire entendre leur ras-le-bol. Les surveillants pénitentiaires de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, dans l'Essonne, comptent bloquer la plus grande prison d'Europe à partir de lundi soir, pour protester contre l'agression de leurs collègues. Le 6 avril, six gardiens ont été blessés après avoir été pris dans une bagarre avec plusieurs détenus mineurs. Un fait divers trop fréquent aux yeux des professionnels, qui veulent pousser l'Etat à prendre des mesures fermes et concrètes. Parmi elles, l'abrogation de la législation qui les oblige à justifier les fouilles à nu de détenus.

Fouille par palpation, fouille intégrale : de quoi parle-t-on ?

Si les deux sont appliquées, elles ne s'opèrent pas du tout de la même manière. Une fouille par palpation consiste, pour un détenu qui revient du parloir par exemple, à passer sous un portique, et à subir un contrôle au moyen d'un scanner corporel manuel. En clair, une fouille à laquelle les usagers des aéroports ont l'habitude de se prêter.

La fouille intégrale, ou fouille à nu, est toute autre. Dans une cabine fermée, le détenu doit se dévêtir entièrement devant un surveillant, qui doit légalement être du même sexe que lui. Bouche, cheveux, fesses, seins… le détenu doit démontrer qu'aucun objet ou substance illicite n'est caché.

Qu'est-ce qui est autorisé aujourd'hui ?

Les fouilles ne sont pas systématiques en prison. La loi pénitentiaire, portée par Rachida Dati et votée en novembre 2009 lorsque Michèle Alliot-Marie lui a succédé, bannit les fouilles à nu généralisées dans les prisons. Objectif : garantir à la fois la sécurité dans les établissements, et le respect de la dignité des détenus.

La loi pose un cadre spécifique pour opérer une fouille intégrale sur un prisonnier. Celle-ci doit être justifiée "par la présomption d'une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l'établissement", indique l'article 57 de la loi pénitentiaire. Elle doit également tenir compte de la personnalité du détenu, de son profil pénal et pénitentiaire. En clair, un détenu qui paraît suspect, au vu de son passé et de son comportement présent, peut justifier une fouille intégrale.

Depuis le 3 juin 2016, un amendement introduit par l'actuel ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas, prévoit la possibilité de mener des fouilles collectives si le personnel pénitentiaire soupçonne l'introduction d'objets ou de substances illicites. Un amendement perçu positivement par les surveillants, nettement moins par les associations, et notamment l'Observatoire international des prisons, qui dénonce "un premier grand recul" quant au respect de la dignité des détenus.

Qu'en disent les surveillants pénitentiaires ?

"Les parloirs sont devenus une zone très fragilisée. Aujourd'hui, on rentre dans la prison comme au supermarché", dénonce David Besson, secrétaire général adjoint du syndicat des surveillants pénitentiaires Ufap-Unsa Justice (majoritaire). À titre d'exemple, en 2014, plus de 27.500 téléphones portables ont été saisis en prison, selon les chiffres de l'administration pénitentiaire. Une situation qui s'explique, selon le syndicaliste, par l'absence de ces fouilles. "À l'heure actuelle, quand un détenu revient du parloir, il réintègre sa cellule sans avoir été fouillé. Forcément, il peut faire rentrer tout et n'importe quoi", avance-t-il.

Si ce sentiment d'impunité agace les surveillants, il inquiète encore plus lorsqu'il concerne des prisonniers radicalisés. "On a des détenus qui sont allés faire le djihad en Syrie, d'autres qui se sont radicalisés dans nos établissements, et on ne peut pas les fouiller. C'est aberrant, d'autant plus que nous sommes en état d’urgence. Avant d'être un fonctionnaire, je suis un citoyen. Et en tant que citoyen, ça me choque", s'agace David Besson.

Que demandent les syndicats concrètement ?

L'Ufap-Unsa Justice (majoritaire) "ne demande pas le retour des fouilles systématiques, mais au moins au retour des parloirs et des ateliers, où les détenus sont en contact avec des personnes extérieures à la prison", assure David Besson. Une mesure que le syndicat de surveillants pénitentiaires entend bien appliquer à l'ensemble des détenus, pas seulement aux plus dangereux. "Ce ne sont pas les gros détenus qui vont prendre le risque de se faire attraper avec des objets récupérés de l’extérieur. Ils font appel à des détenus plus modestes, des 'mules', pour leur faire parvenir ce qu’ils demandent", souligne David Besson.

Le syndicaliste prône également une autre solution, déjà testée sur le territoire. "Dès lors qu'il y a un contact avec une personne extérieure, il faudrait mettre en place le passage systématique du détenu dans le POM, le portique à ondes millimétriques", demande le secrétaire général adjoint de l'Ufap-Unsa Justice. Seulement, ces scanners corporels ultra perfectionnés coûtent extrêmement cher : 160.000 euros, installation comprise. "Il faut savoir se donner les moyens de bien travailler", rétorque David Besson. "À Fleury-Mérogis, il en faudrait même plusieurs. Rien qu'au quartier hommes, il y a l’équivalent de cinq prisons en une", avance-t-il. Ces POM existent déjà à l’aéroport de Roissy, ou aux Etats-Unis.

La dignité des détenus risque-t-elle d'être remise en cause ?

Si l'abrogation de la législation demandée par les surveillantes pénitentiaires était adoptée, "ce serait contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, ainsi qu'aux recommandations onusiennes et nationales", explique Amid Khallouf, coordinateur à l'Observatoire international des prisons. En effet, au cours des dernières années, la France a été plusieurs fois condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme en vertu de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cet article stipule que "nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants". 

"À partir du moment où on lève toutes les contraintes, les fouilles vont se multiplier. Sans prendre parti pour les détenus, en accablant les surveillants pénitentiaires, il existe un risque que certaines de ces fouilles deviennent vexatoires", avance David Szymczak, professeur de droit public à Science Po Bordeaux. Si la revendication des surveillants pénitentiaires venait à être appliquée,  et "sans vouloir présager de ce que pourrait décider la Cour de Strasbourg, la France risque de se faire condamner à nouveau."