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Jihane Bergaoui, édité par Antoine Terrel , modifié à
Au micro d'Europe 1, le chauffeur de taxi qui avait pris l'auteur de l'attaque contre le Marché de Noël dans son véhicule raconte ces quinze minutes d'angoisse, et leurs conséquences sur sa vie personnelle et professionnelle. 

Resté silencieux depuis la tragédie, il a décidé de parler, un an après. Le 11 décembre 2018, à Strasbourg, Rachid (le prénom a été modifié) a pris comme passager dans son taxi Chérif Chekatt, l'auteur, quelques minutes plus tôt, de l'attentat contre le Marché de Noël de la ville, dans lequel cinq personnes ont été tuées et onze autres blessées. Au micro d'Europe 1, il raconte ces quinze minutes d'angoisse, desquelles il est sorti sain et sauf, mais profondément affecté psychologiquement. 

Le 11 décembre 2018, vers 19h45, Chérif Chekatt, fiché S de 29 ans, débute son entreprise meurtrière. Quelques minutes plus tard, cherchant à fuir les forces de l'ordre, il grimpe dans le taxi de Rachid. "Je le vois arriver, il ferme la porte. Il me dit 'emmène moi à Neudorf (un quartier de la ville), dépêche-toi !'", se souvient ce dernier, décrivant un homme "très nerveux", avec lequel il échange quelques mots en arabe. "Il me dit 'tu ne sais pas ce que je viens de faire ? Je viens de faire un attentat à Strasbourg, de tuer dix personnes. J'ai aussi tiré sur des militaires'". 

Apprenant à ce moment-là la tragédie qui s'est jouée quelques minutes plus tôt, Rachid craint pour sa propre vie. "Dans ma tête, ça s'emballe. Je fais une prière avant de mourir, parce que je me dis que c'est fini pour moi", raconte-t-il. Blessé au bras, le terroriste pointe en effet son arme sur lui. 

"Je me voyais mourir"

Tout au long du trajet, le chauffeur échange avec un Chérif Chekatt très agressif. "Il me pose des questions, je ne le contrarie pas, je vais dans son sens. C'est lui qui est maître à bord, qui dirige tout". Mais, Rachid n'écoute pas vraiment, décrivant aujourd'hui son cerveau comme "arrêté", et cherchant alors à "trouver des mots justes" et "de la force parce que je me voyais mourir, j'attendais la détonation".

"À un moment, il a très mal et me dit : 'Il faut que tu m'aides, je saigne beaucoup'", narre Rachid, qui répond "pas de problème, je vais t'aider, dis-moi ce qu'il y a faire'". Une fois les deux hommes arrivés au Neudorf, Chérif Chekatt demande alors à son chauffeur de descendre du véhicule. "Il pointe l'arme sur moi et me dit : 'ne fais pas le con'", se souvient encore Rachid. Après lui avoir tendu une bouteille d'eau et un paquet de mouchoirs, le chauffeur de taxi explique au terroriste qu'il doit partir. "Je ne peux pas rester, il faut que je rentre chez moi", lui dit-il. Laissé libre par son passager, il se rend alors au commissariat le plus proche pour livrer son témoignage. 

"Votre vie change complètement"

"C'est ma façon de parler, de réagir, qui a fait que je suis resté vivant", estime aujourd'hui Rachid, qui relate cependant les conséquences importantes de cet épisode sur sa santé psychologique. "On devient parano, on se méfie un peu de tout le monde, on ne va plus dans les endroits publics", témoigne-t-il, décrivant "l'angoisse qui s'installe, la peur". 

"Votre vie change complètement et celle de vos proches aussi", poursuit celui qui est depuis suivi par un psychologue et un psychiatre. "On devient lunatique. On peut être bien pendant quelque jours, puis être mauvais avec tout le monde pendant une semaine". Et les nuits, irrégulières, sont peuplées de cauchemars lors desquels il refait le trajet effectué lors de cette soirée. Et lorsqu'il se réveille, Rachid n'a personne près de lui. "Je dors seul depuis onze mois, parce que parfois je crie, et j'ai besoin d'être seul, ça m'apaise". 

Rachid n'a plus travaillé depuis un an

Pour Rachid, la période qui a suivi le 11 décembre jusqu'à aujourd’hui n'est rien de moins qu'une "descente aux enfers". "Souvent, on me dit que j'ai de la chance de ne pas être mort. Certes, mais c'est une torture à petit feu". D'ailleurs, depuis un an, il ne travaille plus. "Je ne travaillerai plus jamais dans un taxi. La dernière course que j'ai faite, c'était celle-là", confie-t-il. 

Silencieux depuis les faits, l'ex-chauffeur de taxi accepte aujourd'hui de s'exprimer pour "rétablir certaines vérités", mais aussi "pour les victimes". "On a tous besoin de s'exprimer. Cela fait partie de la reconstruction", conclut Rachid, disant son espoir qu'"il n'y aura plus d'attentat en France".