Bijoux, "flag" et paperasse : on a passé une journée avec les policiers du commissariat d'Amiens

Europe 1 a passé une journée au commissariat d'Amiens, qui accueille vendredi la matinale de Nikos Aliagas.
Europe 1 a passé une journée au commissariat d'Amiens, qui accueille vendredi la matinale de Nikos Aliagas. © Margaux Lannuzel/Europe 1
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, à Amiens , modifié à
EN IMMERSION - De l'ouverture des portes au départ des équipes de nuit, notre journaliste a passé une journée entière au plus près des 430 fonctionnaires du commissariat d'Amiens, qui accueille la matinale d'Europe 1, vendredi, à la veille de l'acte 10 des "gilets jaunes".
REPORTAGE

Il y a toujours quelqu'un au commissariat d'Amiens. Même à 7 heures du matin, alors que le rideau de fer de l'entrée principale n'est pas encore levé. En longeant le mur de briques rouges, à gauche, un interphone permet d'alerter l'un des fonctionnaires de service. D'accéder à la cour, remplie des véhicules rentrés de leurs patrouilles de nuit et pas encore repartis pour celles de la journée. Et, enfin, de passer par la petite porte "poste de police". Qu'ils se déplacent ou appellent le 17, que leur situation soit urgente ou s'avère d'un autre ressort, "à ces heures-là, on est encore le premier réflexe de beaucoup de gens", sourit une policière. A la veille de l'acte 10 des "gilets jaunes", Europe 1 a passé une journée dans cette grande bâtisse du centre-ville, au plus près des équipes, composées de 430 fonctionnaires.           

>> ÉVÉNEMENT - Vendredi matin, Nikos Aliagas présente une matinale spéciale en direct du commissariat d'Amiens, de 7h à 9h.   

7H45. "C'est celui du canapé ?" Marie, agent de la police technique et scientifique, annonce qu'elle part "sur une autopsie". Queue de cheval blonde, sweat à capuche gris, la jeune femme hoche la tête : sa journée commencera par l'examen d'un corps en mauvais état, découvert la veille, dans un appartement surchauffé. Un peu rude, de bon matin, peut-on supposer. "Il faut être prêt tout le temps", balaye-t-elle. 

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8H30. Bilan de la nuit au commissariat: cinq gardes à vue en cours, dont une majorité de "CEA", comprendre "conduite sous l'emprise de l'alcool". Au briefing du matin, Christophe, officier de nuit, lit les passages surlignés de ses procès-verbaux à ceux qui viennent d'arriver. Dans un bureau parfumé par un grand bouquet de lys, on sourit à l'évocation du cas d'un Géorgien, "dans l'incapacité de souffler tellement il était ivre". Au milieu de la table, la verseuse à café approvisionne des tasses dépareillées. Les consignes transmises, un participant tourne les pages du dictionnaire du vocabulaire juridique, pour lire une définition au hasard : "primo-géniteur". "Pas très drôle aujourd'hui", commente la commissaire, qui explique la coutume, consistant à "s'enrichir chaque jour d'un nouveau mot, ou d'un texte que l'on lit à voix haute". La veille, c'était la lettre du préfet Maurice Grimaud aux policiers, datée de 1968 : "frapper un manifestant tombé à terre, c'est se frapper soi-même". 

9H12. "Je viens d'arriver ici et on m'a dit de me présenter au poste, pour le fichier". Un étage plus bas, l'accueil du commissariat est ouvert depuis un peu plus d'une heure. L'homme qui se présente tient une chemise débordant de papiers sous son bras. Le "fichier", c'est le FIJAIS, qui recense les auteurs d'infractions sexuelles et leur impose de signaler tout déménagement aux autorités. "Vous allez être reçu", répond la policière de l'autre côté du guichet. Dans un coin de la salle d'attente, un jeune homme dort les bras croisés, capuche enfoncée sur la tête. Le bruit de la porte du sas, actionnée par un bouton, ne s'interrompt presque jamais. Au suivant.

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9H35. "Il n'y a pas encore trop de monde, vous êtes passé vite", sourit l'officier qui s'apprête à prendre une plainte, dans l'un des petits bureaux qui jouxtent le hall. "On vous a volé quoi comme bijoux ?" Crâne rasé, visage émacié, l'homme se gratte la tête. "Pour la désignation, il faut que je sache, il va falloir faire appel à vos souvenirs", insiste la fonctionnaire. "Les bagues, ma femme en a plein. Ils en ont pris une vingtaine, mais à 50 balles quoi, pas très chères." Administrativement, on dira "fantaisie". Et pour l'or et l'argent, il faudra retrouver les factures. 

10H20. Au 1er étage, le tempo s'accélère subitement. "Police secours ?", répond Franck, 15 ans de métier au centre d'information et de commandement (CIC). Au bout du fil, une jeune femme a composé le 17, depuis le centre-ville. Elle est sur haut-parleur : "je viens d'être témoin d'un vol à l'arraché, une petite dame à qui on a pris son sac." À chaud, elle donne une adresse et décrit la peau mate, un "bas de jogging noir", "un imper gris et blanc". Franck répète aux véhicules en patrouille, localisés en temps réel sur le plus grand de la dizaine d'écrans qui font face aux bureaux. La "petite dame" s'empare du téléphone et précise : "corpulence assez fine. Je dirais 1,72 m, un tout petit peu plus que mon mari." On transmet.

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10H25. "Individu interpellé", crache la radio : au bout de la rue indiquée, un équipage a arrêté un homme dont le signalement correspond. "Il a jeté un étui de téléphone marron", précise la voix. Franck n'a pas besoin de répéter à la "petite dame", qui a entendu et s'exclame : "oui ! j'en ai un, pour mon téléphone." Le policier esquisse un sourire mais tempère : il faudra venir au commissariat, identifier le suspect.

10h45. Dans la cour du commissariat, le voleur présumé sort d'un fourgon de police, menotté et encadré de deux gardiens de la paix. L'imper est en fait un sweat, gris foncé, à bandes bleues, avec bas de jogging assorti. "Mais globalement, on avait une bonne description. Et on était au bon endroit, au bon moment", sourit Fabrice, l'un des fonctionnaires. Au commissariat, la nouvelle s'ébruite doucement : ce matin, on a fait un "flag'".

11H45. Dans la même cour, l'effervescence est redescendue. L'équipage de la BAC prend son service. Large carrure, barbe fournie et arme de service sur le jean, Nicolas récupère un fusil d'assaut dans la salle des coffres pour l'installer sous clé, à l'arrière d'une voiture banalisée. Le "baqueux" prend deux minutes pour raconter la seule fois où il l'a utilisé : "il y avait soit-disant un individu retranché dans un TER à la gare. Après le Thalys et ce qui s'est passé à Paris, on ne sait jamais…" Il glisse son goût pour "l'action", son avis sur l'uniforme de police, "moins respecté" qu'autrefois - lui intervient en civil. Puis s'engouffre dans le petit local de son unité, séparé du reste du commissariat. 

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12H30. L'atmosphère est calme, la salle de pause pleine. On se dépêche de manger une pizza pour certains, un plat "maison" sorti du frigo pour d'autres. Personne n'a le temps de retirer son uniforme : "pas idéal", commente une fonctionnaire. "Mais il faut être prêts à repartir n'importe quand."

13H45. Au bout d'un couloir, loin des armes et des uniformes, l'après-midi commence pour Stéphane. L'officier occupe un bureau ordinaire, rempli d'une pile de chemises en papier colorées, qui ne dit rien de sa profession : au commissariat, il est en charge du "petit judiciaire" - comprendre les enquêtes qui ne nécessitent pas l'intervention des services spécialisés. "Les grosses affaires, ce n'est pas ici", sourit-il. "Mais la moindre procédure qui nécessite une garde à vue, c'est une journée d'enquête, et autant de paperasse..." 

" Nous non plus on n'a pas des salaires mirobolants. Mais on est là pour défendre une institution "

14H30. Dans la cour, presque plus de voitures. Un fourgon de la section d'intervention démarre, conduit par Valentin, la vingtaine élancée. Les trois autres occupants, chargés comme lui de la lutte contre la délinquance et les violences urbaines, en ont plutôt le double. Entre l'avant et l'arrière du car, un rangement abrite leur équipement : grenades de désencerclement, boucliers renforcés, et les fameux lanceurs de balles de défense. Les yeux marqués, l'équipe - toujours la même - n'a pas eu un "vrai" week-end depuis le début du mouvement des "gilets jaunes", fin novembre. "Nous non plus, on n'a pas des salaires mirobolants..." commente Ali, qui commande l'équipage. "Mais on est là pour défendre une institution." 

15H30. "Tiens, c'est l'Américain !" En patrouille dans une cité de l'ouest de la ville, les quatre policiers tendent le cou à l'approche de chaque point de deal et reconnaissent la majorité des visages. "L'Américain" a la vingtaine et parle français, au volant d'une voiture rouge mal garée. Il tend son passeport - effectivement estampillé "USA" - et râle : "j'attends quelqu'un, c'est tout". Ali sourit, l'équipage repart. "Il a l'air sympa ? Mais c'est un trafiquant, on le sait. Il sait qu'on le sait et qu'il peut se retrouver menotté." Au début des années 2010, Amiens a connu des émeutes dont les policiers parlent à voix basse. "Ce n'est plus du tout la même ambiance. Mais on continue de prendre le pouls du quartier, pour voir si quelque chose sort de l'ordinaire." 

17H45. "On est quel jour, mardi ?". Au CIC, on s'étonne que le téléphone ne sonne pas davantage. Imperturbable, Franck est toujours aux manettes. L'un des ses collègues s'en va prendre son train, sac en bandoulière sur l'épaule. 

20H. La grille de l'accueil descend, il faudra à nouveau passer par la petite porte. Dans l'un des quelques bureaux toujours allumés du couloir, les officiers de police judiciaire se transmettent les dossiers pour la nuit, "comme des médecins aux urgences". Quelques gardes à vue, un mineur isolé que l'aide à l'enfance ne peut pas prendre en charge. 

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21H. Pour Sandrine, la "journée" a commencé il y a trois heures seulement. Responsable du commandement des effectifs de nuit, elle travaille de 18 heures à 5 heures du matin depuis quinze ans et sourit : "quand je viens plus tôt, je finis par trouver qu'il y a trop de monde". Lunettes sur le front, la fonctionnaire briefe ses officiers. Elle tique lorsqu'on emploie le mot de "sacrifice" dans une question sur ses horaires. "Le corps fatigue, c'est sûr. Mais on est là pour assurer une continuité." 

22H. Sur le bureau de Sandrine, on entend peu la radio, pourtant allumée en permanence : la soirée se passe pour l'instant sans interpellation. A l'extérieur, une douzaine de policiers patrouillent dans les rues d'Amiens, soit entre deux et trois fois moins que pendant la journée. Ils reviendront au petit matin, passer le relais.