Gérald Darmanin s'est offusqué de la décision du Conseil municipal de Strasbourg. 1:43
  • Copié
Arthur Helmbacher, édité par Jonathan Grelier avec AFP , modifié à
La décision de la municipalité de Strasbourg de financer la construction d'une mosquée de l'association Millî Görüs a été fortement critiquée par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, qui estime que cette dernière défend "l'islam politique". Europe 1 fait le point sur ce que l'on sait de la polémique.

Le débat aurait pu rester à l'échelle locale mais il est désormais national. Lundi soir, le Conseil municipal de Strasbourg, en Alsace, adoptait "le principe d'une subvention" de plus de 2,5 millions d'euros pour la construction d'une mosquée de Millî Görüs, une association réputée proche de la Turquie. Le lendemain, Gérald Darmanin protestait vivement contre cette décision sur son compte Twitter. "La mairie verte de Strasbourg finance une mosquée soutenue par une fédération qui a refusé de signer la charte des principes de l’islam de France et qui défend un islam politique", a accusé le ministre de l'Intérieur. Financement d'un lieu de culte, soupçon de séparatisme... Europe 1 fait le point sur la polémique.

La loi de 1905 ne s'applique pas en Alsace

La première question qui peut se poser est celle de l'autorisation, ou non, de subventionner un lieu de culte. En Alsace, la loi de séparation des Eglises et de l'Etat ne s'applique pas. En effet, au moment de la création de cette loi en 1905, l'Alsace et la Moselle n'appartenaient pas à la France mais étaient allemandes, d'où cette particularité locale. Utiliser de l'argent public pour financer une église, un temple, une pagode ou une mosquée est donc complètement légal en Alsace.

Au micro d'Europe 1 mercredi, la maire EELV de Strasbourg Jeanne Barseghian rappelle donc être dans son bon droit. "Je respecte le droit local qui permet à une municipalité de financer 10 % de la construction d'un lieu de culte", explique-t-elle. "C'est ce qu'on fait depuis des décennies. J'entends que Gérald Darmanin pose un certain nombre de questions. Est-ce que cela signifie qu'il remet en cause le droit local ? Dans ce cas-là, je pense qu'il faut le dire clairement."

L'action de l'association contestée

Se pose ensuite la question du porteur de projet de la construction de la mosquée. Cette association est accusée par Gérald Darmanin "de défendre l'islam politique", notamment parce qu'elle n'a pas signé la nouvelle Charte des principes de l'islam de France. A demi-mot, le ministre de l'Intérieur estime donc que l'action de cette association peut relever du séparatisme et que la ville de Strasbourg finance "une ingérence étrangère sur le sol" français. "Même si la loi séparatisme n’est pas encore adoptée, devant la gravité des décisions prises par la municipalité verte de Strasbourg, j’ai demandé à la préfète de déférer la délibération d’octroi de subvention devant le juge administratif", a-t-il d'ailleurs écrit sur Twitter.

EELV dénonce une "cabale médiatique"

Mais la maire écologiste de Strasbourg dit ne pas être en mesure de confirmer cette prise de position. "Si le ministre a des éléments à nous transmettre", ajoute-t-elle, "qu'il le fasse". De son côté, Europe Ecologie-Les Verts (EELV) a dénoncé la "cabale médiatique orchestrée par la majorité". Le parti dirigé par Julien Bayou a critiqué dans un communiqué le développement de la polémique, qu'il juge dans la droite ligne des épisodes sur le menu unique sans viande à la cantine ou le Tour de France.

"Une énième fois, les écologistes sont la cible d'une cabale médiatique orchestrée par le parti de la majorité, qui, fébrile à l'approche d'échéances électorales, n'hésite pas à diffamer ses opposants politiques et à chercher à les discréditer", écrit EELV. "Une énième fois, ce gouvernement tombe dans la polémique stérile et tente d'allumer des contre-feux afin de mieux masquer ses propres renoncements en matière écologique et sociale", alors que la loi Climat est examinée à l'Assemblée nationale, ajoute le parti.

Par ailleurs, le maire EELV de Grenoble Eric Piolle s'est dit "scandalisé que le président de la République lâche une bombe [mardi sur France 5, ndlr] sur une possible ingérence turque sur la présidentielle" et qu'immédiatement après "ses ministres viennent pointer du doigt la maire de Strasbourg". Il a dénoncé une "culture de la fracture au moment où l'on est sur un chemin de crête avec la poussée de l'islam politique, le risque terroriste et la montée de l'extrême droite et des identitaires".

Sous surveillance en Allemagne pour des "tendances islamistes"

Implantée dans plusieurs pays européens, Millî Görüs ("vision nationale", en turc), incarne un courant islamo-conservateur fondé par le mentor du président turc Recep Tayyip Erdogan. Ce courant a été crée dans les années 1960 par Necmettin Erbakan, premier chef islamiste d'un gouvernement en Turquie, poussé à la démission par les militaires en 1997. Vétéran de la politique, défendant une Turquie dirigée selon les principes de l'Islam, où les taux d'intérêts seraient interdits, et tenant des propos antisémites et opposée à l'adhésion de son pays à l'Union européenne, Erbakan a joué un rôle déterminant au sein de partis liés au mouvement Millî Görüs jusqu'à son éclatement et la création en 2001 de l'AKP (Parti de la justice et du développement) du président Erdogan.

A partir de 2002, avec l'arrivée de l'AKP au pouvoir en Turquie, l'électorat de Necmettin Erbakan a en majorité tourné le dos à son leader de longue date, pour favoriser une relation avec Recep Tayyip Erdogan au pouvoir. Aujourd'hui, le parti de la Félicité (Saadet en turc) qui se réclame comme l'héritier de Millî Görüs en Turquie, se positionne cependant dans l'opposition face au gouvernement d'Erdogan, malgré leurs nombreux points communs idéologiques. 

Le mouvement s'est implanté en Europe à partir de 1995. Avec un siège à Cologne en Allemagne, Millî Görüs revendique aujourd'hui une présence dans 12 pays européens, ainsi qu'en Australie et au Canada, et une communauté de 350.000 membres. En Allemagne, où se trouve son siège, Millî Görüs se présente comme la deuxième communauté islamique la plus importante et gère plus de 300 mosquées dans tout le pays. L'organisation est cependant dans le collimateur du renseignement intérieur allemand pour des "tendances islamistes".