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Chloé Triomphe, édité par Rémi Duchemin , modifié à
L’ancien président de la République comparaît à partir de lundi dans l’affaire des écoutes, dite affaire Paul Bismuth, un pseudonyme qu’utilisait Nicolas Sarkozy pour échapper à la surveillance des enquêteurs. L’ex-chef de l’Etat devra se défendre d’accusation de corruption. 
DÉCRYPTAGE

C'est le premier procès que va affronter Nicolas Sarkozy, mais pas le dernier. Avant le dossier Bygmalion, c'est de l'affaire dite "des écoutes" dont il sera question à partir de lundi devant le tribunal correctionnel. Ce sera la première fois qu’un ancien président comparaîtra physiquement - pour des problèmes de santé, Jacques Chirac avait été absent de son procès en 2011. Durant trois semaines, à raison de quatre après-midis par semaine, l'ancien président va devoir répondre des chefs de corruption et trafic d'influence. A ses côtés seront jugés son ami et avocat Thierry Herzog et un ancien haut magistrat de la cour de cassation, jugés aussi pour violation du secret professionnel.

Nicolas Sarkozy et son "TOC" Paul Bismuth

C'est dans le cadre d'une autre enquête, l'affaire des soupçons de financement libyen de sa campagne présidentielle victorieuse de 2007, qu’à partir de fin 2013, les magistrats se sont mis à écouter les conversations de l’ancien chef de l’état sur la ligne officielle. Puis, quelques mois plus tard, ils en écoutent une autre, plus "confidentielle" puisqu'elle a été ouverte sous un faux nom :  c'est la fameuse ligne Paul Bismuth, en réalité le patronyme d'un ancien camarade de classe de Thierry Herzog. Dans le jargon policier, on appelle ça un TOC, pour téléphone occulte.  

Sur cette ligne, Nicolas Sarkozy et son conseil échangent sur des renseignements qu'ils cherchent à obtenir sur la décision que doit rendre la cour de cassation au sujet de la restitution des agendas de l’ancien président de la République, saisis par la justice dans l’affaire Bettencourt.  Dans ces conversations, il est question d'un haut magistrat de la cour de cassation, Gilbert Azibert, ami de longue date de Thierry Herzog, qui pourrait les aider. Et un peu plus tard, toujours sur les écoutes, du petit coup de pouce que Nicolas Sarkozy pourrait lui rendre en échange pour l'obtention d'un poste de conseiller d’état à Monaco.

"La démarche à Monaco a été faite"

Le 5 février 2014 par exemple, Thierry Herzog explique : "Je lui ai dit que tu le recevrais, mais que tu savais parfaitement ce qu’il faisait, et donc il était très content. Il m’a parlé d’un truc sur Monaco". "Je l’aiderai", lui répond tout de suite Nicolas Sarkozy. Mais à la fin du mois, au lendemain d’un diner à Monaco entre l’ancien chef de l’Etat, son épouse et Thierry Herzog, les deux hommes changent de ton au téléphone, sur les deux lignes, officielle et officieuse, à cinq minutes d’intervalle : "t’as pu faire quelque chose ou pas ? (pour Gilbert Azibert, ndlr)", interroge Thierry Herzog. "Non, mais, je… Tu vas m’en vouloir, j’ai réfléchi depuis… Je ne l’ai pas senti d’en parler, je n’ai pas envie"

Enfin, début mars, sur la ligne de Gilbert Azibert, elle aussi placée sur écoutes, les enquêteurs entendent ceci : "La démarche à Monaco a été faite. Je te raconterai simplement quand on se verra de vive voix. On a été obligé de dire certaines choses au téléphone." Pour les magistrats instructeurs, ces conversations signent l’existence d’un trafic d’influence, des faits de corruption et pour Thierry Herzog et Gilbert Azibert, d’une violation du secret et permettent aujourd’hui le renvoi des trois intéressés devant un tribunal correctionnel.

"Pas un seul centime en jeu"

Ses proches que nous avons pu rencontrer l'affirment : Nicolas Sarkozy est déterminé à s'expliquer publiquement après plus de 50 heures d'interrogatoire devant les policiers et les juges, pour une affaire qu'il estime grotesque, tout en rappelant que dans cette histoire, il n'y a "pas un seul centime en jeu".

Les conversations incriminées (13 sur les 153 écoutées sur la ligne Paul Bismuth) sont fondatrices pour l’accusation, mais la défense pourrait bien les contester dès le début des débats, au double motif qu’elles ont été initiées dans le cadre d’un autre dossier, le dossier libyen, selon la technique dites des "filets dérivants", et qu’elles portent atteinte au secret des relations entre un avocat et son client. Quant au contenu de ces conversations, dans l’entourage de l’ancien chef de l’Etat, on relativise, en expliquant que ce dernier, comme d’autres, parlent parfois en outrepassant leur pensée. Une façon de tenter de démonétiser des propos gênants.

"Pacte corrupteur"

Autre argument invoqué, la réalité des faits : les renseignements fournis par Gilbert Azibert se sont avérés faux et son intervention présumée pour tenter d’influer sur la décision de ses collègues qui ont statué sur la restitution des agendas de Nicolas Sarkozy saisis par la justice dans l’affaire Bettencourt n’ont manifestement pas abouti, puisque la décision a été contraire aux intérêts de l’ancien président. Quant à son poste de conseiller d’Etat à Monaco, le haut magistrat à la retraite en France ne l’a jamais obtenu. Même si en droit, s'il y a un lien entre le service demandé et la contrepartie espérée, cela caractérise la corruption et le trafic d'influence, quelle que soit la concrétisation du "pacte corrupteur".

Enfin, ce qui met la défense de Nicolas Sarkozy particulièrement en colère, c’est la méthode qu’elle estime "déloyale" des magistrats concernant l’enquête préliminaire ouverte par le PNF pour tenter d’identifier la taupe qui aurait prévenu Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog qu’ils étaient sur écoute, après que les deux hommes ont radicalement changé de discours au téléphone sur la question de Gilbert Azibert. Enquête dont ils n’ont pas eu connaissance avant son classement sans suite l’an dernier malgré leurs multiples sollicitations. Nicolas Sarkozy, selon ses proches, est "impatient" de s’expliquer et espère obtenir une relaxe.