rue David-Gradis, Bordeaux, plaque, racisme, traite négrière 2:00
  • Copié
Stéphane Place édité par Guilhem Dedoyard
Plusieurs rues de Bordeaux portent le noms d'armateurs ayant participé à la traite négrière. Dans le contexte actuel, la mairie a décidé de faire de la "pédagogie mémorielle" en apposant des plaques dans ces voies, afin que les passants puissent en savoir plus sur ce pan controversé de l'histoire de la ville.
REPORTAGE

Bordeaux, ville importante de la traite négrière, affronte son passé esclavagiste. Alors que des militants font le geste, parfois décrié, de déboulonner des statues représentant notamment Christophe Colomb ou Winston Churchill, en particulier aux États-Unis et au Royaume-Uni, la mairie de la Belle endormie a fait le choix de la pédagogie. Cinq rues portant le nom d'armateurs négriers sont désormais dotées de panneaux explicatifs. Une décision prise en décembre dernier mais qui résonne particulièrement dans l'actualité, avec les nombreuses manifestations anti-racistes organisées depuis la mort de George Floyd.

"Faire en sorte que ces traces puissent servir à la jeune génération"

Dans la rue David-Gradis, la plaque précise désormais que ce notable bordelais a armé, au 18e siècle, dix navires pour la traite des Noirs. De 1672 à 1837, 120.000 à 150.000 esclaves africains ont été déportés vers les Amériques par des armateurs bordelais. Des notices biographiques rappellent ainsi les activités des différentes figures historiques possédant des rues à leurs noms dans la ville. 

"Je ne vois pas du tout pourquoi les rues portent leur nom, la rue n'a pas à s'appeler comme ce genre de personnes", juge une passante. Dans le cas de David Gradis, c'est parce qu'il a acheté un terrain devenu le premier cimetière juif de la ville. "C'est à ce titre et parce que ses descendants furent aussi des notables bordelais que son nom a été donné à cette rue", selon la mairie.

Marik Fetouh, adjoint au maire chargé de l'égalité et de la lutte contre la discrimination, précise que l'action municipale n'est "pas là pour censurer. On n'est pas là pour réécrire l'histoire, on est là pour faire de la pédagogie et faire en sorte que les générations d'aujourd'hui puissent prendre conscience que ces crimes odieux ont été perpétrés, y compris dans notre ville". "À Bordeaux on n'a pas voulu effacer les traces de l'histoire, il y a un consensus fort pour faire de la pédagogie mémorielle et faire en sorte que ces traces puissent servir à la jeune génération et à la société de demain", poursuit-il.

La suite d'un effort de mémoire de dix ans

Ces cinq plaques, munies d'un QR code permettant d'aller voir des explications historiques encore plus détaillées, s'inscrivent dans un effort de mémoire entamé il y a une dizaine d'années. Celui-ci s'est manifesté par un "parcours mémoriel" au sein de la ville, des salles dédiées à l'esclavage au Musée d'Aquitaine ou encore l'installation d'une statue de Modeste Testas, une esclave déportée à Saint-Domingue. "Les actions que la ville de Bordeaux a mises en place ces dernières années ont été fortes", reconnaît Karfa Diallo, fondateur de l'association Mémoires et partages qui pousse depuis une vingtaine d'années les politiques locaux à affronter cette part d'ombre. Il demande toutefois "qu'un symbole tombe" et "qu'on débaptise une rue" à Bordeaux et ailleurs.

Les habitants, eux, sont divisés. "Ça permet aux Bordelais de s'approprier leur passé. Justement, c'est un devoir de mémoire de rappeler l'historique, mais en le situant dans son contexte culturel de l'époque", juge une passante. Tandis qu'une autre considère que ces rues devraient changer de noms."C'est déjà pas mal, ça cultive les gens mais ce n'est pas assez. Il faudrait que ça aille plus loin maintenant."