Le sport, la prison et moi

© CHRISTOPHE NEGREL
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REPORTAGE - A l’occasion des jeux pénitentiaires, Europe 1 a rencontré cinq prisonniers, pour qui le sport permet d’entretenir un statut de “citoyen-détenu”.

Alex et son équipe de volley ont décroché l’or, jeudi, à Saint-Raphaël. Dans cette compétition, Alex ne représentait ni la France, ni aucun autre pays. Il concourait au nom de sa prison, la maison d’arrêt d’Osny, dans le Val-d’Oise. Comme lui, près de 200 détenus en fin de peine ont participé aux jeux pénitentiaires, organisés du 21 au 26 septembre, à Saint-Raphaël. A cette occasion, Europe 1 a pu rencontrer Kader, Yvan, Stéphane, Alex et Maryne. Cinq détenus qui ont accepté de nous raconter leur rapport au sport, à la prison et à l’avenir.

"Le sport, c’est toute ma vie"

A l’image des sportifs des Jeux olympiques, les détenus rencontrés aux jeux pénitentiaires font partis de “l’élite”, celle qui pratique le sport quotidiennement. Et ce rapport assidu au sport ne date pas de l’époque de leur incarcération. Il remonte bien souvent à l’enfance. Et il est intimement lié aux habitus de leur milieu social d’origine. “Le foot c’est une vraie passion. C’est héréditaire. Mon frère et mon père en font. Le fait de faire du foot en prison me permet de garder un lien avec eux”, explique Alex, 26 ans, qui a terminé quatrième à l’épreuve de foot clôturant les jeux pénitentiaires vendredi.

Même son de cloche du côté d’Yvan, un Gabonais pour qui le sport “est toute sa vie”. “Ça a commencé dès l’enfance. Dans ma famille, la boxe est une religion. Mes oncles, mes frères, mes cousins en font tous au Gabon. J’ai grandi avec un sac de frappe et une corde à sauter dans les mains. Alors quand je suis arrivé en France à l’âge de 16 ans, j’ai continué à faire de la boxe, c’était évident pour moi, c’était une continuité avec ma vie d’avant. Comme je me sentais livré à moi même ici, j’ai canalisé cette solitude dans le sport”, raconte Yvan,qui compte aujourd’hui sur les jeux pénitentiaires pour être repéré par des recruteurs et préparer ainsi sa réinsertion comme professionnel.

Yvan à l'épreuve de course des jeux pénitentiaires.

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Certains détenus des “Jeux” étaient d’ailleurs en passe de devenir des sportifs professionnels avant leur incarcération. C’est notamment le cas de Kader, 24 ans, passionné par le football. “Avant, je faisais du foot très souvent, j’avais un niveau professionnel. Je m’entraînais trois fois par semaine, j’étais arbitre agrégé le samedi, et le dimanche, je participais aux matches”, se souvient le jeune homme, incarcéré à Salon-de-Provence depuis plus de 5 ans. 

Stéphane faisait lui aussi du sport dans ses jeunes années, avant qu’il ne soit arrêté à l’âge de 19 ans et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, avec une période de sûreté de 30 ans. “Avant, je faisais de l’athlétisme, du sport de combat, de la boxe. Mais en arrivant en prison, j’ai complètement changé de sport. Mes besoins n’étaient plus les mêmes”, commente cet homme de 49 ans, qui se réjouit d’avoir vu les activités sportives se diversifier depuis son arrivée en prison en 1983. Aujourd’hui, il pratique ainsi le tennis, “à un très bon niveau”, selon son entraîneur. C’est sur un cour de badminton que nous l’avons retrouvé vendredi.

Stéphane après l'épreuve de badminton aux jeux pénitentiaires

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Maryne, incarcérée depuis un an et demi à Fleury-Merogis profite également de la multiplication des activités sportives au sein de la prison. Cette jeune femme de 22 ans passe sa journée à faire du volley, du badminton, du handball, du basket et du step. “Avant je ne faisais pas de sport, ou très peu, je faisais un peu d’équitation. Je pratiquais le sport au lycée aussi. Mais c’est vraiment la prison qui m’a incitée à en faire. Et après c’est devenu un besoin quotidien”, confie cette jolie blonde de 22 ans. 

"Sans le sport, je sombrerais dans la bagarre"

"Besoin", "addiction", "drogue", "passion", tous les détenus rencontrés parlent du sport comme une véritable nécessité. En regardant leurs corps, tous parfaitement sculptés, difficile de ne pas les croire. L’activité sportive chez eux est quotidienne, intensive et variée.

Alors pourquoi une telle assiduité ? D’abord parce que le sport a un effet immédiat : il fatigue le corps. “Quand je rentre du sport, je suis fatigué. Alors je me couche tôt et je me lève tôt. J’entretiens une bonne hygiène de vie”, témoigne Alex, présent sur presque toutes les épreuves des jeux pénitentiaires. Yvan, lui, cherche jusqu’à “l’épuisement” dans la pratique de la boxe. Une quête qui, derrière les barreaux d’une prison, semble salvatrice. “Le sport me permet de bien vivre mon incarcération. Je dors mieux, ça m’évite de prendre tous les médicaments que l’on propose aux détenus pour qu’ils trouvent le sommeil”, raconte Maryne, incarcérée depuis un an et demi.

Maryne pendant l'épreuve de badminton aux jeux pénitentiaires

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Car tous les détenus ne pratiquent pas, loin de là, une activité sportive. Selon les sportifs des jeux pénitentiaires, il existe d’ailleurs un véritable fossé entre les sportifs et les non-sportifs. “Ceux qui ne font pas de sport se ramollissent. Ils sont déréglés, se couchent tard, se lèvent tard. Ils n’ont pas le moral”, constate Alex, dont le rôle au sein de la prison est justement de motiver les détenus à pratiquer une activité sportive. “Si je ne fais pas de sport, je suis triste, je pense trop, mes problèmes remontent”, abonde Yvan, qui est incarcéré à Poitiers depuis plus de trois ans.

Entretenir son corps, c’est donc aussi entretenir son moral. Pour Stéphane, “le moral, c’est ce qui fait tenir en prison”. Et il sait de quoi il parle, lui qui entame sa trentième année derrière les barreaux. “L’activité sportive c’est un moteur pour résister à ma longue peine, c’est le fil conducteur de mes années de détention. C’est une drogue obligée”, assure-t-il.

Alex aux jeux pénitentiaires

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Dans un univers carcéral où le temps semble distendu, le sport permet en effet de faire passer les journées plus rapidement, “plus normalement”, nous disent certains détenus. 

Le sport en prison a par ailleurs un véritable rôle pacificateur. Sa pratique permet en effet d’instaurer une forme de paix sociale, dans un univers bien souvent dominé par la violence. “Sans le sport, je sombrerais dans la bagarre. Là, le sport m’apprend à me contrôler avec les autres. Ca me canalise pour ne pas répondre aux provocations. Et puis ça m’éloigne des autres, ceux qui font du business, qui vendent de la drogue”, glisse Yvan, fier d’avoir rejoint le “camps des sportifs”, après avoir été incarcéré pour trafic de drogues.

Yvan lors de la course à pieds aux jeux pénitentiaires

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Et les jeux pénitentiaires ont un rôle clé en la matière. Ils instaurent une normalité des rapports sociaux qui sont abolis en prison. Stéphane en a fait le constat. “En prison, les règles sociales ne sont pas les mêmes, par exemple, on ne se dit pas bonjour. Mais quand on fait du sport, on adopte les règles du sport, alors on se salue”.

Les détenus ont d’ailleurs fait bien plus que de se saluer aux jeux pénitentiaires. Tous s’encourageaient lors des épreuves, se donnaient des conseils, s’applaudissaient lors des remises des médailles. Maryne, seule femme détenue à participer aux épreuves, a été ovationnée par tous les détenus présents à la cérémonie de clôture des jeux.

Maryne à la fin de l'épreuve de badminton

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"On sort du cadre oppresseur-oppressé"

Cette bonne entente ne s’opère pas qu’entre les détenus. Toutes les équipes étaient mixtes. Elles comprenaient aussi bien des détenus, que des surveillants, ou des moniteurs sportifs. Difficile ainsi, en arrivant à l’épreuve de rameur, de savoir qui est détenu et qui est encadrant. On se donne à boire, on se tape dans le dos “et on se tutoie même”, remarque Kader. “On entretient un lien avec les surveillants. On sort du cadre ‘oppresseur-oppressé’”, se réjouit Stéphane.

Cette relation particulière avec les moniteurs sportifs et les surveillants est valorisante pour les détenus. C’est notamment le cas d’Alex, que ses moniteurs présentent comme “le recruteur”, pour sa capacité à motiver les nouveaux détenus à pratiquer une activité sportive. “J’ai l’impression de servir à quelque chose. Je me sens utile. Je motive les autres détenus à faire du sport. Beaucoup me disent que si je n’étais pas là, ils ne feraient pas de sport. Tout ça m’a permis de trouver ma place. Je suis devenu auxiliaire de vie, c’est comme un gardien d’immeuble, mais dans une prison. Je distribue les repas, je suis en lien avec les autres détenus. C’est valorisant de voir que l’on me fait confiance. Car on est peu dans ce cas”, fait-il remarquer.

Alex pendant un match de basket aux jeux pénitentiaires

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"Je ne dirais pas que le sport sert à se réinsérer mais..."

Le sport permet aussi d’entrevoir un avenir, que ce soit au sein de la prison, ou en dehors. “Le sport, c’est aussi un calcul, ça peut permettre, quand ça se passe bien, de compléter un dossier pour avoir des aménagements de peines. Ca facilite aussi les autorisations de sortie. Grâce au sport, je respire, je garde un contact avec l’extérieur, c’est appréciable. J’ai pu faire trois sorties cette année”, s’enthousiasme Kader.

Certains peuvent même prétendre voir plus loin grâce au sport. Yvan, par exemple, s’entraîne sans relâche, pour devenir professionnel de boxe une fois sorti. “Je sais que le sport peut être une porte de sortie. Dans mon cas, je me suis toujours pris pour un grand boxeur de compétition, alors quand je sors, je veux devenir un professionnel”, raconte-t-il déterminé.

Kader aux jeux pénitentiaires

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En parallèle de ses activités sportives, Kader, lui, suit une formation de vente de matériel de sport. Le jeune homme reste toutefois modéré quand on lui parle de “réinsertion par le sport”. “Ca ne sert pas forcément à la réinsertion. Ca dépend de l’état d’esprit de chacun. Certains vont faire du sport, juste parce que ça leur fait du bien, mais il n’y a pas de projets derrière. Dans mon cas, ça s’inscrit dans quelque chose de plus large.  Maryne abonde dans son sens : “je ne dirais pas que le sport sert à se réinsérer. C’est un état d’esprit plus large que ça.” La jeune femme compte ainsi sur ses études pour s'en sortir. Ici, nous sommes donc loin des clichés du genre sur le sport et la réinsertion.

Et pourtant, dans le cas de Stéphane par exemple, la pratique d’un sport pourrait tout changer. Le détenu prépare actuellement son dossier de sortie. Pour sortir, il lui faudra trouver un employeur “assez tolérant”, comme il le dit lui-même. Et il l’assure et ses moniteurs le confirment : “le sport va peser dans sa libération”.