Être juré d'assises, une "grande solitude"

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INTERVIEW E1 - Pierre-Marie Abadie, juré d'assises en 2007 est favorable à la mise en place d'un soutien psychologique, mais après le procès.

"J'ai eu à juger trois viols et un meurtre". Il y a sept ans, Pierre-Marie Abadie a été sélectionné pour être jurés d'assises. Alors que comme vous le révélait Europe 1, le député UDI Yannick Favennec vient de déposer une proposition de loi visant à "permettre la mise en place d'un soutien psychologique" pour les jurés, Pierre-Marie Abadie revient sur son expérience. Selon lui, "il faut un soutien psychologique pour les jurés d'assises, mais après le procès".

Des centaines de citoyens tirés au sort. Pierre-Marie Abadie rappelle le processus - plutôt long - qui s'engage lorsqu'on est sélectionné pour être juré d'assises."J'ai reçu comme beaucoup de gens une première lettre disant que j'avais été sélectionné pour être juré d'assises. Ceux qui comme moi reçoivent cette lettre pensent qu'ils vont être juré. En vérité, il y a encore quatre tirages de sort", informe-t-il. Et chaque année, ils sont des centaines à être tirés au sort sur les listes électorales, pour "juger en leur âme et conscience" leurs concitoyens.

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© MAX PPP

"Satisfaction, doute et peur vous animent". Pierre-Marie Abadie, lui, a finalement "passé" toutes les étapes pour être juré d'assises. sur Europe 1, il raconte la "satisfaction", voire la fierté, qu'il a éprouvée en apprenant qu'il serait juré d'assises au procès. Mais rapidement viennent les doutes. "On part de la satisfaction - vous avez été sélectionné pour être juré, exercer un pouvoir, il y a une flatterie de l'égo. Et, d'un coup, vous êtes soumis à un doute. On se dit : 'je ne suis pas formé pour exercer ce pouvoir, je ne vais pas savoir, j'ai vu des tas de procès à la télé, au cinéma, mais que se passe-t-il en vrai ?' Satisfaction, doute et peur vous animent", confie l'ancien juré.

"Une formation d'une heure qui n'apprend rien". Et face à ces doutes, très peu de conseils sont donnés en amont du procès. "J'ai eu une heure de formation. Un vague CD-Rom ficelé par le ministère de la Justice, à vocation dite pédagogique, mais qui n'apprend rien sur le rite auquel vous allez assister", déplore-il.

La cour d'assises de Paris

© REUTERS

"L'expérience de la vision de la souffrance extrême". Jean-Marie Abadie a dû pourtant juger des affaires particulièrement éprouvantes : trois viols et un meurtre. Et son expérience se révèlera douloureuse. "Le juré va faire l'expérience de la vision de la souffrance extrême. Tout le monde souffre dans une cour d'assises, dans un prétoire. Moi j'ai souffert presque tout le temps : j'ai vu le spectacle de la souffrance humaine, surtout quand on a mis à nu l'accusé, qu'on l'a déshabillé dans sa personnalité", se souvient-t-il.

"La cour d'assises est une mise à nu" :

"La cour d'Assises est une mise à nu"par Europe1fr

"Je le reconnais, j'ai fermé les yeux". Tout cela sans compter les moments encore plus crus, comme les rapports d'autopsies ou l'examen des photos des scènes de crime. "On vous passe photos, vidéos, elles sont très souvent insoutenables : beaucoup de jurés m'ont avoué, moi le premier, avoir fermé les yeux devant certains documents. Quand vous voyez un corps tronçonné, décapité, c'est insoutenable. Je le reconnais, j'ai fermé les yeux", confie Pierre-Marie Abadie.

Un soutien psychologique ? "Je le réclame haut et fort". C'est pour toutes ces raisons, qu'aujourd'hui, l'ancien juré soutient la proposition de Yannick Favennec. "Pendant les procès, ça me semble difficile à mettre en place. Pour des tas de raisons : le juré est en vase clos, il faudrait le briser un peu, ça poserait des problèmes matériels. Mais je le réclame haut et fort pour l'après-procès : le juré est victime d'un choc traumatique. Oui, vraiment ! Il est témoin des souffrances dont on a parlé, et il a exercé un pouvoir terrifiant, celui de juger. L'exercer est très difficile", assure-t-il.

Dans une cour d'assises. 630420

© MAX PPP

"Un moment de grande solitude". Selon lui, l'après-procès est particulièrement difficile à gérer. "Pour l'anecdote, j'ai eu envie d'enlever un vêtement. L'avocat, quand il a fini de plaider, il enlève sa robe, le magistrat aussi. Le juré, quand il se retrouve seul, il a envie de se dessaisir du vêtement qui accompagnait les pouvoirs qui lui étaient donnés. C'est un moment de grande solitude : il a vécu un phénomène de groupe très fort avec les autres jurés, et il va retrouver un environnement familial qui, forcément, n'a rien vécu de cela. Je n'ai rien pu raconter, j'étais dans un mutisme total. Seuls peuvent partager les autres jurés : mais quand la grille se referme, ils se dispersent", constate Pierre-Marie Abadie.

Regardez l'intégralité de l'interview :

"Le juré va faire l'expérience de la vision de...par Europe1fr
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